Free cookie consent management tool by TermsFeed

vendredi 17 avril 2020

Pas de répit pour le fantasme de la blockchain

Rabobank
Ils sont quelques-uns à prétendre que la blockchain va nous sauver du coronavirus. Même sans tomber dans des délires de ce genre, la crise sanitaire donne l'occasion à des acteurs tels que Rabobank (et ses partenaires) de vanter sa capacité opportune à accélérer le commerce international. Les mythes et légendes redoublent, hélas…

Selon la relation qui en est faite, c'est un véritable exploit qui a été rendu possible par la mise en œuvre de la technologie de la singapourienne dltledgers. Qu'on en juge : grâce à la blockchain, il n'aura fallu que 5 jours (contre près d'un mois habituellement) à deux géants de l'agro-alimentaire, Cargill et Agrocorp, et leurs différents intermédiaires (dont les transporteurs) pour conclure la vente et le transfert d'une cargaison de blé d'une valeur de 12 millions de dollars entre l'Amérique du Nord et l'Indonésie.

La blockchain serait donc à elle seule la baguette magique qui parvient subitement à mettre en relation les entreprises, à leur permettre d'échanger des documents en toute sécurité, à autoriser le suivi et le pilotage en quasi temps réel de leurs opérations, à éviter toute polémique sur la propriété des données, à réduire les coûts des transactions et à diviser par cinq les temps de traitement (administratifs et autres) ? L'initiative de Rabobank et ses compères révèle une nouvelle fois l'extraordinaire naïveté de ceux qui croient à ce fantasme tenace… et le cynisme des pourvoyeurs de chimères…

dltledgers

En effet, il suffit d'analyser en détail ce qui rend la solution, dans sa globalité, particulièrement efficace (ses bénéfices étant incontestables) pour comprendre que la blockchain, en tant qu'outil, n'y joue aucun rôle. En réalité, nous avons ici affaire à la simple démonstration de l'intérêt de rationaliser et numériser un processus complexe multi-participants : le principal facteur responsable de la performance est l'acceptation par tous les intervenants de recourir à une plate-forme commune afin d'orchestrer l'ensemble de leurs actions sous une forme entièrement dématérialisée. Quelle surprise !

Et qu'on ne vienne pas me chanter la célèbre berceuse de la confiance, qui serait prétendument assurée par le caractère décentralisé, consensuel et immuable de la blockchain, puisque rien dans l'implémentation qui nous est proposée ici ne permet de garantir la qualité de ce que chaque contributeur introduit dans le système et que tous, en revanche, accordent implicitement leur confiance au fournisseur du logiciel sur lequel il repose : quelle est alors la différence avec une approche plus classique ?

Si l'argument technologique n'était employé que dans le but de convaincre les parties prenantes de collaborer à la « digitalisation » de leurs pratiques préhistoriques, l'artifice serait admissible. Malheureusement, les résultats ne sont guère au rendez-vous : d'une part, la blockchain possède ses propres inefficacités et frictions (pour n'en citer qu'une, pensons au déficit de compétences) et, d'autre part, la nouveauté qu'elle représente génère des réticences qui font que ses déploiements ne dépassent toujours pas le stade expérimental, alors qu'une démarche traditionnelle aurait déjà abouti en production.

1 commentaire:

  1. Bravo pour ce post qui remet les pendules à l'heure sur les fantasmes de la blockchain, dont l'article illustre quelques ultimes réminiscences, et dont la conclusion fort juste est qu'une démarche traditionnelle aurait déjà abouti en production.
    Mais en en le lisant, je me demande si je lirais un jour "Pas de répit pour le fantasme de l'IA". Les deux sujets se ressemblent tellement !
    L'IA a toutes les sauces pour révolutionner le business de la banque est un fantasme pur et simple du même acabit.
    Pour étayer cette affirmation, il faut revenir sur ce qu'est réellement (concrètement) la révolution de « l'intelligence artificielle » qui s'opère depuis une dizaine d'années. Celle-ci est portée par une évolution technologique majeure dans les réseaux neuronaux, qui permet d'adresser des problématiques bien précises, comme aucune autre technologie (et en particulier les technologies statistiques) n'a pu faire jusqu'à présent. Les problématiques résolues sont :
    • La reconnaissance d'image
    • La transcription vocale
    Ces deux avancées vont bouleverser nombre de domaines dans notre vie au quotidien, car un logiciel qui entend et qui voit peut faire 10.000 choses nouvelles. Des choses qui seront d'ailleurs faites par des algorithmes traditionnels utilisant la vision et l'écoute comme de simples capteurs d'information. Dans ce contexte, parler de la révolution de l'IA a un sens réel.
    Le fantasme de l'IA dans la banque (mais c'est vrai pour la plupart des autres domaines) vient d'une confusion, qui laisse à penser que d'un coup de baguette magique "IA", il serait possible d'extraire automatiquement des informations clés à partir des masses de données utilisateurs ; et que cela va révolutionner le business.
    Dans la réalité, l'exploitation de ces données utilisateurs en masse devient une réalité, mais point d'IA dans cela. L'utilisation d'algorithmes traditionnels est et sera bien plus efficace, plus rapide, plus déterministe, et plus maintenable que la tentation d'adapter des techniques d'IA. Car on est simplement là dans le domaine du Big Data et du bon sens.
    Pour savoir si l'on doit se tourner vers l'IA, il suffit de se poser la question "Est-ce que le chien est dans l'image ?", c’est-à-dire est ce que la réponse à mon problème est entièrement dans les données que je traite, de manière formelle et sans interactions extérieures.
    Les techniques d'IA peuvent transcrire des sons en mots, car l'ensemble des mots transcrits sont dans les sons, et le fait qu'il y ai une grève ou qu'il pleuve ou je ne sais quoi n'a aucune influence.
    Les techniques d'IA peuvent détecter un chien dans une image, car le chien est présent dans l'image, et le fait qu'il y ai une grève ou qu'il pleuve ou je ne sais quoi n'a aucune influence.
    Dans les données utilisateurs en masse, le fait qu'il y ai une grève ou qu'il pleuve ou je ne sais quoi (comme un coronavirus par exemple) a une influence majeure, et c'est pourquoi les techniques d'IA ne pourront produire de bons résultats. Et c'est de cette incompréhension que se nourrit le fantasme de l'IA.

    RépondreSupprimer

Afin de lutter contre le spam, les commentaires ne sont ouverts qu'aux personnes identifiées et sont soumis à modération (je suis sincèrement désolé pour le désagrément causé…)