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samedi 30 juin 2018

Lutte contre la fraude : avantage à Monzo !

Monzo
Les grandes banques se vantent aujourd'hui d'utiliser les technologies « big data » et l'intelligence artificielle pour améliorer leurs services. Pourtant, quand une brèche de sécurité affecte un e-commerçant, la seule qui parvient à détecter le motif récurrent de fraude qui s'ensuit est la jeune pousse Monzo. Les autres l'ignorent pendant 2 mois…

L'histoire que raconte la startup commence le 6 avril, quand une cinquantaine de clients la notifient de transactions frauduleuses sur leurs cartes de paiement. Une petite analyse de routine révèle immédiatement une anomalie statistique puisque 70% des victimes avaient précédemment effectué une transaction sur le site de Ticketmaster, qui n'est pourtant utilisé que par 0,8% de ses clients. En 4 heures et demie, l'équipe de Monzo met en place des protections supplémentaires pour éviter de futures tentatives similaires.

Les jours suivants, la tendance se précise et la banque alerte les services secrets américains (en charge de la fraude sur les cartes de crédit) et les responsables de la plate-forme de vente en ligne. Une transaction en particulier lève les derniers doutes : une tentative de paiement suspecte reproduisant la date d'expiration erronée que l'utilisateur légitime avait saisi sur le site de Ticketmaster. Monzo décide de remplacer préventivement les cartes des personnes susceptibles d'avoir été concernées par l'attaque.

Deux semaines après le début de l'affaire, personne ne corrobore les observations de Monzo, ni le marchand (après une enquête interne), ni les services secrets, ni aucune autre institution financière… Finalement, ce n'est que le 21 juin que Mastercard avertit l'ensemble des banques, tandis que Ticketmaster ne reconnaît publiquement les faits – touchant plusieurs dizaines de milliers de consommateurs britanniques – que le 27 juin (et tant pis pour les délais de notification imposés par le RGPD…).

Incident Ticketmaster

Ce qui me frappe dans ce récit est que la démarche de Monzo paraît totalement normale (et pas spécialement révolutionnaire, d'un point de vue technologique), qu'il s'agisse d'approfondir la compréhension d'incidents de sécurité, de mettre en place rapidement des mesures de protection adaptées, de collaborer avec les parties prenantes… Quel contraste avec l'absence de réaction de la part du reste de l'industrie et quel gâchis que le temps perdu par ce qui ressemble fort à une attitude de négligence généralisée !

Où sont donc les algorithmes anti-fraude de toutes ces banques qui se flattent de leur engagement pour la protection de l'argent (et des informations personnelles) de leurs clients ? Se contentent-elles de filtrer des motifs d'attaque classiques, sans exploration continuelle de nouvelles corrélations dans les données captées en temps réel, qui permettraient de les rendre plus performants, sans introduction dynamique de règles supplémentaires en cas de soupçon ? Comment diable une startup peut-elle être plus efficace que des établissements aux ressources quasiment illimitées ?

Dans un domaine qui n'est pas le premier auquel on pense quand on évoque l'expérience utilisateur, Monzo fait ici une nouvelle démonstration de la puissance de sa vision toujours centrée sur le client. Peu importe que les fraudes puissent être gérées a posteriori, sa priorité est d'éviter qu'elles ne se produisent ou, au pire, d'en limiter les impacts, et tous les moyens pour y parvenir doivent être mis en œuvre (même quand ils ont un coût non négligeable, comme le remplacement préventif de milliers de cartes). Voilà le genre d'attitude qui contribue à conquérir plus de 750 000 clients en quelques mois…

vendredi 29 juin 2018

Jusqu'ici, tout va bien…

Chute
Tandis que se répandent les inquiétudes sur l'avenir de Fidor dans le groupe BPCE, un dirigeant de la Caisse d'Épargne Midi-Pyrénées évoque le lancement, programmé à la rentrée prochaine, d'une nouvelle offre de banque en ligne, intégrée aux structures existantes, en estimant qu'un modèle indépendant n'est pas viable en France.

Directement inspirée par Eko – la solution à petit prix du Crédit Agricole – et ses résultats flatteurs (elle aurait capté 10% des ouvertures de compte depuis son lancement à la fin de 2017), la nouvelle venue, qui devrait s'appeler Enjoy dans le réseau des Caisses d'Épargne, sera proposée à 2 euros par mois et sera accessible exclusivement à distance, par des outils en ligne et mobiles, naturellement, et via un centre d'appel.

Dans une approche radicalement opposée à celle de Fidor, qui vient tout juste d'inaugurer les premières briques de sa plate-forme dans l'hexagone, il ne semble pas question ici de bâtir une nouvelle banque « digitale » mais simplement d'élaborer un produit de bas de gamme à partir du catalogue existant et destiné à compléter celui-ci. L'objectif est donc avant tout de prendre une position dans la guerre des tarifs (comme l'illustre aussi le Crédit Agricole avec sa surprenante campagne anti-Orange Bank).

Cette vision est confirmée par Pierre Carli, président du directoire de la Caisse d'Épargne Midi-Pyrénées, quand il explique que BPCE ne souhaite pas créer une offre dédiée (indépendante des établissements existants) parce que les banques 100% en ligne actuelles démontreraient l'absence de marché, en n'étant considérées que pour des comptes secondaires. À l'appui de sa démonstration, il cite l'exemple des États-Unis où, selon lui, les acteurs traditionnels maintiennent leur emprise et savent évoluer.

Le raisonnement me paraît extrêmement fragile, à cause, notamment, de ses prémisses biaisées, voire erronées. À commencer par l'idée qu'un fournisseur ne distribuant que des comptes – ou autres services financiers – d'appoint n'a pas d'avenir possible. Aussi évidente soit-elle pour quelqu'un qui exerce dans une banque universelle dans le pays où ce modèle est perçu comme la seule option sensée, elle peut pourtant être remise en cause, grâce aux gains d'efficacité qu'autorisent les technologies modernes.

Quand bien même l'hypothèse serait-elle vérifiée, et en prenant en compte le fait que, quoi qu'il en soit, la plupart des challengers désirent capter l'essentiel de la relation avec leurs clients, il est extraordinairement prématuré de conclure que ce qui ne s'est pas produit jusqu'à aujourd'hui n'arrivera jamais. Aussi bien en France qu'aux États-Unis, d'ailleurs, où, bien que les contextes soient entièrement différents, les mêmes mécanismes entrent en jeu pour limiter l'essor de concepts alternatifs.

En effet, j'affirme qu'il est impossible, à ce jour, de savoir si les consommateurs sont prêts à basculer leur vie financière vers une néo-banque pour la simple raison que, dans leur immense majorité, ils n'en ont pas l'opportunité. Une fois écartés les établissements en ligne qui ne sont qu'une transposition électronique de leurs ancêtres en agence, il reste peut-être Orange Bank (qui souffre de défauts de qualité), Revolut (reconnue d'abord comme un produit pour globe-trotters), N26 (dont la notoriété est trop marginale)… qui n'ont donc clairement pas les moyens, à ce stade, de définir une tendance.

On ne pourra juger du changement (ou non) de comportement des français vis-à-vis de leur argent que quand ils auront à leur disposition une banque réellement différente (c'est-à-dire qui leur procure une expérience utilisateur optimale) et ayant gagné la confiance d'une partie significative de la population. Dans l'intervalle, toute affirmation n'est que conjecture et il faut se garder de toute sentence définitive. Il serait judicieux, au contraire, d'engager quelques expérimentations afin d'acquérir des certitudes.

Avec l'appui de Fidor, BPCE aurait pu être la première institution à vérifier l'appétence des consommateurs pour un autre modèle, avec lequel elle aurait pu, simultanément, entamer une rénovation en profondeur de ses infrastructures. Il semblerait que la perspective s'en éloigne, probablement rattrapée par les démons d'une approche mutualiste qui veut coûte que coûte maintenir son ancrage territorial historique et qui peine à se ré-inventer à l'ère « digitale », alors que cela devrait justement être un défi exaltant.

Jusqu'ici, tout va bien…

jeudi 28 juin 2018

Capital One frustre ses clients de leurs données

Capital One DevExchange
Quand Capital One, un des plus grands émetteurs de cartes de crédit aux États-Unis, procède à une évolution de sa plate-forme et bloque ainsi une multitude de services tiers reposant sur l'accès aux informations qu'il héberge, il découvre que ses clients contestent sa toute-puissance et exigent d'être les maîtres de leurs données.

Apparemment, les problèmes ont commencé il y a quelques semaines, à la suite d'une mise à jour logicielle. Officiellement pour des raisons de sécurité, celle-ci limite dorénavant les possibilités pour des services externes d'extraire automatiquement des informations depuis ses sites. Selon Plaid Technologies, spécialisée dans la collecte et l'agrégation de données bancaires, elle entraîne des dysfonctionnements majeurs pour des millions d'utilisateurs chez ses propres clients, dont Acorns, Venmo, RobinHood…

Il y a quelques années, des mesures répressives de ce genre étaient monnaie courante parmi les institutions financières et ne suscitaient guère d'émotion (sauf dans les startups qui en étaient victimes). Aujourd'hui, les applications exploitant les données de transactions financières se sont multipliées et elles ont conquis des millions de consommateurs. Le moindre incident peut alors prendre des proportions considérables, comme le montre la campagne virulente que subit Capital One sur les médias sociaux (sous le mot-dièse #protectdataaccess) et son écho dans la presse généraliste.

Face à ces protestations, la banque adopte une position convenue (qui rappellera des souvenirs aux participants à la bataille de la DSP2 en Europe) : les techniques employées par les acteurs tels que Plaid Technologies pour accéder aux données bancaires sont dangereuses, tandis qu'elle met à leur disposition des API adaptées à leurs besoins. Capital One fait ici preuve de mauvaise foi, puisque ses interfaces d'accès aux transactions (les plus utilisées) sont, à l'heure où j'écris ces lignes, en construction.

Capital One DevExchange

Quoi qu'il en soit, l'affaire révèle avant tout une totale incompréhension du monde contemporain de la part de l'institution, à plusieurs niveaux. Tout d'abord, les réactions de ses clients doivent lui faire prendre conscience qu'ils sont désormais de plus en plus nombreux à exiger le contrôle de leurs données personnelles (le bruit causé par l'entrée en vigueur du RGPD ou l'affaire Cambridge Analytica n'a fait qu'amplifier le mouvement). Elle doit donc admettre qu'elle n'en est que dépositaire et non propriétaire.

Dans un autre registre, la banque ne peut plus ignorer qu'elle s'inscrit dans un écosystème, qui lui impose de nouvelles responsabilités. Son fonctionnement autonome d'antan, sans se préoccuper des conséquences extérieures de ses actes, n'est plus qu'un rêve. Les consommateurs intègrent leur vie financière dans une multitude d'expériences différentes, rendues possibles par les technologies. Chaque fois qu'elle perturbera l'une de leurs applications préférées, elle encourra leur ire et mettra en jeu leur fidélité.

Capital One exhibe en fait un double symptôme classique dans le secteur financier (et dans d'autres). D'une part, elle n'a pas pris la mesure des changements de comportement de ses clients et de leur utilisation des services qu'elle leur offre. D'autre part, elle a encore du mal à admettre que sa relation avec eux s'est inversée et que, contrairement à une époque où elle pouvait dicter ses choix, elle est maintenant devenue tributaire de leurs habitudes et de leurs attentes. Bienvenue dans l'ère « digitale » !

mercredi 27 juin 2018

Venmo lance une carte de paiement

Venmo
Après une première expérimentation initiée l'année dernière, le vétéran des petits paiements mobiles entre amis Venmo lance une carte de débit (en version beta, pour l'instant). Son ambition est de mieux faire profiter à ses utilisateurs des avantages de sa solution, en établissant un pont direct entre les parcours disjoints de leurs usages courants.

Au premier abord, la carte Venmo représente pour son propriétaire un moyen supplémentaire – et gratuit, pour l'essentiel – d'accéder à l'argent disponible sur son compte, que ce soit pour réaliser des achats, en boutique ou en ligne, ou pour effectuer des retraits sur automate. Une option lui propose même d'activer l'approvisionnement automatique depuis une autre carte, en cas de solde insuffisant, ce qui lui permettra d'en faire son instrument de paiement principal, piloté par son application mobile.

À la clé, les fonctions sociales de Venmo s'ouvrent de la sorte à tous les règlements du quotidien : le client peut notamment, s'il le décide, publier dans son flux d'activité (à destination de son entourage) chacune de ses dépenses, instantanément. Mais l'argument le plus intéressant et probablement le plus important en faveur de la carte est le lien étroit qu'elle maintient avec l'ADN de la jeune pousse. En effet, les achats enregistrés sont toujours prêts à être répartis entre les membres d'un groupe et il est alors possible de demander le remboursement de l'avance ainsi faite en quelques gestes.

Venmo Card

L'approche ne manquera pas de séduire les nombreux jeunes qui ont régulièrement l'occasion de partager leurs expériences (sorties, voyages, cadeaux…) avec leurs proches et qui ont constamment besoin de gérer les transferts d'argent que ces pratiques induisent. Elle leur offrira un surcroît de simplicité appréciable, en évitant aussi les oublis et autre reçus égarés, tout en leur laissant une totale flexibilité dans l'utilisation de la solution (par contraste avec les cartes à répartition automatique des transactions, telles que SharePay, qui, en pratique, visent un autre marché).

En France, l'annonce de Venmo a un parfum particulier, puisqu'elle fait écho à la démarche similaire de Lydia, il y a presque 2 ans. Et il est frappant de constater combien son alignement avec le modèle initial de paiement entre pairs rend la démarche beaucoup plus compréhensible et plus convaincante (y compris, je pense, pour les clients), même si, selon toute vraisemblance, les objectifs sont identiques dans les 2 cas et ressortent du développement des volumes traités et de la récurrence des usages.

mardi 26 juin 2018

Le FMI est pessimiste face aux cyberrisques

Fonds Monétaire International
Inquiétant, ce billet de Christine Lagarde (directrice générale du Fonds Monétaire International) qui dresse un constat édifiant sur les cyberrisques dans le secteur financier mais n'esquisse aucune solution concrète… Devrait-on se résigner à ne savoir que mesurer l'étendue de la menace et tenter de la contenir tant bien que mal ?

Le premier sujet d'étonnement concerne justement l'évaluation de l'enjeu, puisque la tradition de secret des banques fait que quasiment aucune donnée objective n'est disponible, ni publiquement ni pour une organisation telle que le FMI, sur l'impact des attaques, dont on sait pourtant qu'elles sont réelles et potentiellement très lucratives. Il est d'ailleurs extrêmement intéressant (et un peu cocasse) de voir que le seul exemple que cite Christine Lagarde est celui d'une plate-forme de change de crypto-devises (Coincheck, dépouillée de l'équivalent de 500 millions de dollars en janvier dernier).

Il faut alors s'en remettre à des estimations, calculés par un outil de modélisation [PDF] que le FMI vient de concevoir. Celles-ci nous mènent d'une situation actuelle – qui verrait s'évaporer environ 100 milliards de dollars par an, soit 9% des bénéfice nets des banques – jusqu'à un scénario catastrophe – qui amputerait de moitié les résultats et mettrait alors en péril le système financier mondial – en passant par des hypothèses de croissance de la cybercriminalité et de développement de l'interdépendance entre institutions – susceptibles d'ajouter quelques centaines de milliards à la sombre addition.

Billet de Christine Lagarde – Le cyberrisque dans le secteur financier

Face à ce diagnostic, les réponses laissent tristement à désirer. Cela commence par la quasi-absence de la cyberassurance dans le paysage, due notamment à la difficulté pour les compagnies d'évaluer le risque à couvrir et à leur incapacité à établir le niveau d'exposition des institutions financières. En tout état de cause, et dans l'hypothèse (très incertaine) où des produits adaptés commenceraient effectivement à émerger, il paraît illusoire de compter sur une telle option pour réduire significativement le danger.

Que reste-t-il ? Comme par réflexe, Christine Lagarde n'imagine rien de mieux qu'un renforcement des cadres réglementaires… dans le but de réduire la menace et d'augmenter la résilience des établissements. Autant dire qu'elle n'a aucune piste à proposer car quand l'intérêt des banques, pour la sauvegarde de leurs profits, en l'occurrence, converge autant avec celui des autorités, il semble évident que l'introduction de nouvelles obligations légales ou administratives n'apporte aucun bénéfice.

Il n'est certes pas trivial (possible ?) de trouver des réponses à la crise des cyberrisques. Toutefois, le FMI pourrait commencer par suggérer, voire encourager, une première idée, directement inspirée de son analyse et, par ailleurs, fréquemment évoquée sans jamais être concrétisée : instaurer un modèle de coopération international entre banques. En miroir de la conviction affichée que les impacts croissent par effet de contagion entre pairs, il devrait être naturel de renforcer les collaborations pour combattre les attaques.

lundi 25 juin 2018

Oval Money devient conseiller en épargne

Oval Money
Depuis ses origines, la gestion de finances personnelles (PFM) a régulièrement évolué d'un simple outil de suivi de budget vers des fonctions de plus en plus sophistiquées de conseil intelligent. La jeune pousse italo-britannique Oval Money proposera bientôt une des déclinaisons les plus abouties d'un assistant d'épargne omniscient.

Jusqu'à maintenant, l'application mobile de la startup permet classiquement aux consommateurs de disposer en permanence, grâce à une connexion directe avec leurs comptes bancaires, d'une vue claire et précise de l'état de leurs finances personnelles. À cela, elle ajoute de non moins habituelles options d'épargne automatique (par exemple par arrondi sur chaque dépense), ainsi qu'un composante pédagogique, plus rare, dispensant des contenus conçus pour aider chacun à mieux gérer son argent.

Si, dans un premier temps, les sommes mises de côté sont déposées sur un compte séparé (non rémunéré), la vision d'Oval Money a toujours été de mettre à la disposition de ses utilisateurs une vaste palette de solutions d'épargne, à travers une place de marché qui, à terme, pourrait comprendre des fonds d'investissement, classiques ou fournis par des « robo-advisors », des crypto-actifs, des plates-formes de finance participative… Une campagne de test vient ainsi d'être lancée avec 3 fonds thématiques.

Cette addition prolonge naturellement l'ambition d'assister les individus dans l'optimisation du pilotage de leurs économies, notamment en ajustant les produits proposés à leurs habitudes et à leurs préférences. D'ores et déjà, une spécificité du modèle s'exprime dans sa sélection de fonds thématiques, destinés à une population attentive aux enjeux sociétaux, l'un privilégiant la mixité dans les conseils d'administration, un autre ciblant les marques préférés des jeunes et le dernier orienté vers la flexibilité du travail.

Oval Money

Progressivement, l'application d'Oval Money se mue donc en un véritable compagnon d'épargne, partant de l'analyse des flux, qui permettra sous peu d'automatiser l'alimentation de la cagnotte, et aboutissant à l'agrégation de produits personnalisés aidant à la faire fructifier, en passant par une démarche éducative qui, indépendamment des efforts faits pour rendre l'ensemble du processus aussi transparent que possible, veut rendre les clés de l'autonomie et de la responsabilité de leur argent aux consommateurs.

La startup développe là une stratégie de plate-forme, consistant non seulement à mettre en relation ses clients avec un panel de fournisseurs variés et leurs différents produits, via une expérience utilisateur exceptionnelle, mais en offrant également une dimension de conseil et de personnalisation qui en représente en fait l'essentiel de la valeur ajoutée. Et s'il lui manque une vision holistique en amont de l'épargne telle que celle d'Envizage, l'alignement thématique des produits distribués avec les préoccupations des jeunes constitue un moyen de capter une cible potentiellement plus frivole et plus volatile.

dimanche 24 juin 2018

Gusto fluidifie le versement des salaires

Gusto
À une époque où les transferts d'argent – en espèces, par chèque ou même par virement – impliquaient des démarches lourdes et coûteuses, il était certainement raisonnable de limiter les versements de salaires à une fréquence mensuelle ou hebdomadaire. Avec les moyens modernes, il est peut-être temps de changer ces habitudes…

Voilà le raisonnement qui conduit Gusto – éditeur d'une plate-forme de gestion des ressources humaines et de paye à destination des PME – à proposer aux collaborateurs de ses quelques 60 000 entreprises clientes (aux États-Unis) de bénéficier d'un service de rémunération à la demande. Dans les faits, une fois l'option « Flexible Pay » activée par son employeur, le salarié va, en quelques clics, pouvoir choisir librement le jour auquel il désire recevoir les revenus correspondant au travail qu'il a effectué jusqu'alors.

Grâce à sa connaissance intime des opérations de ses utilisateurs, non seulement leur rémunération et les conditions attachées (charges et avantages) mais également leur activité réelle (avec ses outils de suivi), Gusto peut en effet déterminer précisément et à tout moment à quel montant chacun peut prétendre. En arrière-plan, afin de rendre le fonctionnement du dispositif totalement transparent pour les entreprises, elle avance les sommes demandées et les réintègre ensuite dans les processus de paye habituels.

Dans l'esprit de ses concepteurs, « Flexible Pay » constitue une réponse nécessaire aux difficultés des millions d'américains qui vivent pratiquement au jour le jour. Ils éviteront de la sorte de recourir à une carte de crédit ou à une avance sur salaire, extrêmement onéreuses, que ce soit pour assumer leurs dépenses courantes ou pour faire face à un imprévu. En filigrane, il s'agit aussi de restaurer une certaine justice dans un système qui, en réalité, impose aujourd'hui au salarié de faire crédit à son employeur.

Gusto Flexible Pay

En alignement avec ces grands principes, Gusto offre son option gratuitement aux PME et à leurs collaborateurs. À l'avenir, la société pourrait toutefois envisager d'évoluer de son approche « artisanale » actuelle vers un véritable produit financier, pour lequel il lui faudra trouver un modèle économique. En l'occurrence, la marge de manœuvre que lui laissent les exploiteurs de personnes en situation précaire devrait lui faciliter la tâche, comme le démontre l'émergence de plusieurs acteurs sur ce créneau.

Dans cette perspective, « Flexible Pay » deviendra alors un exemple supplémentaire de la tendance inéluctable vers l'immersion de la banque au cœur des services du quotidien. N'est-il pas logique que les problématiques de distribution des salaires soient prises en charge de bout en bout par les employeurs (avec l'aide de leurs prestataires) ? Dans un premier temps, une telle approche – qui s'impose déjà dans l'économie collaborative – sera considérée comme un avantage spécifique… avant qu'elle ne devienne la norme… Les institutions financières sont-elles prêtes à cette transformation de leur rôle ?

samedi 23 juin 2018

Comment rompre avec le passé ?

Finn by Chase
Comme nombre de ses consœurs dans le monde, quand JPMorgan Chase a décidé de (re)conquérir les jeunes adultes attirés par les nouveaux entrants (Simple, Moven…), elle a créé une marque et une structure (relativement) indépendante, Finn. Elle n'a pourtant pas totalement rompu avec les vieilles habitudes de son héritage.

À peine née et encore largement expérimentale, cette banque voulue 100% « digitale » se retrouve dans un étrange paradoxe puisqu'elle permet à ses clients de réaliser leurs opérations dans les agences de sa parente et, bientôt, ils pourront même commander un chéquier depuis leur application mobile. Cette option ne devrait plus être utile qu'aux nostalgiques d'une autre époque, comment peut-elle donc s'inviter dans une offre destinée à une population dont la vie entière se déroule sur smartphone ?

Matt Gromada, directeur en charge de Finn, a une réponse aussi simple que raisonnable : il s'agit d'une demande explicite des consommateurs. La démarche adoptée tout au long de la conception et du développement de la solution, reposant en grande partie sur des tests avec les utilisateurs (depuis les premières phases de design, sur papier), est tout à l'honneur des équipes qui gèrent le projet. Et puisque la possibilité de disposer d'un chéquier est régulièrement citée comme critère d'adoption, il faut s'y plier, non ?

S'il était question d'un service trivial ou parfaitement en ligne avec une stratégie mobile, il n'y aurait guère de raisons d'hésiter. En l'occurrence, nous parlons ici d'un instrument de paiement extrêmement coûteux et, surtout, dépassé, jusqu'à être voué à une disparition certaine, à terme, même s'il reste beaucoup utilisé dans des domaines spécifiques. Dans de telles circonstances, il est préférable de ne pas foncer tête baissée et de prendre le temps de s'interroger sur les motivations profondes de la requête exprimée.

Bank with Finn by Chase

En effet, les institutions financières ne sont pas seules à ne pas vouloir renier leurs traditions, leurs clients ont eux aussi leurs vieux réflexes, qui ressortent d'autant plus facilement quand leurs besoins sont justement questionnés par l'une d'entre elles (car, malgré ses velléités d'autonomie, la grande sœur reste bien présente dans la marque complète « Finn by Chase »). Rappelez-vous ce que disait Henry Ford : « si j'avais demandé aux gens ce qu'ils voulaient, ils auraient répondu des chevaux plus rapides ».

Dans une démarche d'innovation, les attentes formulées par les utilisateurs – et plus encore quand elles traitent de solutions existantes – devraient toujours être évaluées à l'aune de leur justification réelle. Ainsi, dans le cas du chèque, est-ce le réconfort d'un outil connu, tangible, qui en fait l'intérêt ou bien est-il encore vraiment nécessaire pour certains paiements ? L'exemple de la néo-banque Moven donne une piste : elle propose d'émettre elle-même les chèques de ses clients, mais uniquement pour deux usages (le règlement de loyer et le remboursement de crédit hypothécaire).

Retenons également de cette référence que, même quand le besoin est identifié et légitime, il faut continuer à prendre garde à ne pas tomber dans la facilité de l'habitude. Il est certes plus simple pour JPMorgan Chase d'émettre des chéquiers mais ce n'est pas nécessairement la meilleure idée à suivre si elle entraîne une recrudescence des usages, au détriment d'autres moyens de paiement, plus modernes et plus efficaces (notamment les options de transferts entre particuliers, désormais quasi-universelles).

Rien ne dit que la création de Finn n'a pas respecté les bonnes pratiques en matière d'innovation. Le doute est cependant permis car il est toujours plus difficile pour une équipe issue d'une banque historique, même isolée de son environnement institutionnel, de s'écarter de ses modèles standards. Et il ne faut jamais compter seulement sur les utilisateurs pour imaginer une autre manière de faire les choses. Là se situe le moment précis dans une démarche où la créativité est la plus nécessaire.

vendredi 22 juin 2018

Laisse toute espérance, toi qui entres dans l'IT

Bank of America
Ce titre en forme de clin d'œil dantesque m'est inspiré par Cathy Bessant, la responsable des opérations et des technologies de Bank of America, qui concède, à l'occasion d'une récente conférence, que, avec la maturité, elle ne croit plus désormais à la possibilité ni à l'intérêt pour son organisation d'adopter les modèles proposés par la FinTech.

Plus précisément, elle estime que l'idée, à laquelle elle a longtemps cru, qu'une grande banque doit apprendre à « échouer rapidement » n'a aucun sens et ne représente pas une proposition raisonnable pour ses actionnaires. Plus surprenant encore, elle affirme qu'il s'agit d'un luxe que peuvent s'offrir les startups mais pas Bank of America. Arrivée à son poste il y a 8 ans, en provenance du marketing et sans aucune expérience dans un rôle technologique, nous raconte-t-elle avoir perdu l'espoir de transformer la DSI ?

Certes, il est parfaitement illusoire de vouloir faire opérer une entreprise comptant plus de 200 000 collaborateurs comme une jeune pousse. Mais comment imaginer acquérir la réactivité et la capacité d'innovation que Cathy Bessant revendique sans mettre en œuvre les règles essentielles de l'agilité qui font leurs preuves aussi bien dans la FinTech que chez les géants de la Silicon Valley ? Or la faculté de détecter au plus tôt un échec en devenir et de ré-orienter alors rapidement les efforts est l'une des plus efficaces !

Sans cette discipline rigoureuse et permanente, qui doit s'appliquer aussi bien aux grands projets qu'aux petites évolutions du quotidien, les vieilles habitudes de la banque perdurent, entraînant un gaspillage d'énergie et de ressources considérable. Ce sont, par exemple, les vastes chantiers de modernisation dans lesquels sont engloutis des centaines de millions, dont personne ne veut assumer la responsabilité de leur (presque) inévitable échec… et qui disparaissent à l'occasion d'une réorganisation massive.

La référence aux actionnaires est extraordinairement révélatrice de l'état d'esprit qui règne dans les grands groupes. D'un côté, les dirigeants sont sous la pression de l'innovation : ils doivent sans cesse démontrer leur engagement dans des initiatives de transformation auxquelles ils consacrent des milliards (en tous cas selon leurs annonces officielles). De l'autre, ils sont pétrifiés à l'idée de prendre le moindre risque ou de devoir annoncer un revers. Pourtant, bien évidemment, l'un ne vas pas sans l'autre !

La tendance est inéluctable, la banque devient une entreprise technologique : Cathy Bessant a ainsi actuellement, sous sa responsabilité directe près de la moitié des effectifs de Bank of America, tant l'informatique est le cœur de toutes les activités. Hélas, dans la plupart des cas, cette mutation ne s'accompagne pas d'une prise de leadership et la DSI, arc-boutée jusqu'au désespoir sur ses traditions de stabilité, tend de plus en plus fréquemment à être au contraire un obstacle au progrès et à l'innovation.

Les jeunes (et moins jeunes) passionnés de technologie qui rêvent d'inventer les modèles de la finance de demain devront rester prudents face aux promesses que leur font les établissements historiques. En particulier, ils devront garder en mémoire que la capacité à accepter les échecs (supposée innée aux États-Unis) ne vaut en réalité que pour les entrepreneurs. Dans les grandes structures, elle n'existera tout au plus que pour des petits projets sans conséquence, sans visibilité et, donc, sans enjeu véritable.

Cathy Bessant

jeudi 21 juin 2018

USAA cible toutes les occasions d'épargner

USAA
Je profite aujourd'hui de l'attribution par l'EFMA de son trophée de l'innovation du mois à une initiative relativement ancienne de l'américaine USAA pour m'attarder sur la stratégie multi-facettes que déploie cette dernière dans le but d'inciter ses membres à se constituer une épargne minimale, sans effort, voire sans y penser.

Le sujet est particulièrement brûlant car toutes les études montrent qu'une proportion considérable de personnes ne dispose d'aucun fonds de secours en cas de coup dur. Aux États-Unis, par exemple, la dernière enquête économique annuelle de la Réserve Fédérale révèle que, en 2017, 4 adultes sur 10 n'étaient pas en mesure de faire immédiatement face à une dépense urgente de 400 dollars, telle qu'une avance de frais médicaux, une réparation de voiture, des travaux sur l'habitation…

Alors que, dans une immense majorité des cas, le problème est moins financier que psychologique, comment faire pour que quiconque puisse mettre un peu d'argent de côté et ainsi surmonter facilement les épreuves de la vie ? Chez USAA, la conviction, appuyée par un certain nombre d'études scientifiques, est qu'il faut rendre aussi transparent, invisible et indolore que possible le geste d'épargne, afin de surmonter le blocage instinctif de l'individu face à ce qu'il perçoit comme une souffrance sans récompense.

Dans cette optique, l'institution propose à ses membres 4 outils différents, à la fois pour multiplier les occasions d'épargner et pour permettre à chacun de trouver celui qui convient le mieux à ses habitudes ou qui vaincra plus facilement ses hésitations. Ils ont toutefois en commun d'être simple à adopter, de fonctionner automatiquement (une fois la décision prise de les mettre en œuvre) et d'être entièrement gratuits.

USAA Savings Booster

Le premier de ces services est celui qui a valu la récompense de l'EFMA : « Text Savings » combine l'envoie d'un SMS quotidien de rappel du solde du compte courant avec un micro-virement automatique de 1 à 9 dollars vers le compte d'épargne, tous les 2 ou 3 jours (si la situation le permet). Le montant peut paraître dérisoire – et tel est, fondamentalement, l'objectif recherché – mais ces versements réguliers, mis bout à bout, représenteront environ 750 dollars d'économies après une année.

Une autre option consistera plus classiquement à transformer systématiquement en épargne une fraction pré-déterminée des rentrées d'argent sélectionnées (ce pourrait être 10% du salaire mensuel, 50% des aides sociales…). Une variante de ce modèle cible plus spécifiquement les crédits d'impôts annuels. Enfin, une règle peut également être mise en œuvre pour sauvegarder les petits avantages consentis par la banque, en l'occurrence le remboursement des frais de retrait sur les GAB d'autres établissements. Étonnamment, il ne manque à ce catalogue que les arrondis sur les achats !

La démarche d'USAA a une double vertu, car, en même temps qu'elle aide concrètement les consommateurs à renforcer leur sécurité financière, elle contribue à leur éducation en matière d'épargne et peut de la sorte les encourager à aller plus loin. En revanche, elle me semble encore perfectible. En effet, si elle parvient à faire disparaître les efforts dans la durée, elle ne s'attaque pas à l'obstacle initial de l'adoption : il reste à imaginer des moyens efficaces de convaincre les clients de faire le premier pas…

mercredi 20 juin 2018

Envizage conçoit un vrai robo-conseiller

Envizage
En quelques années, les plates-formes d'investissement automatisé se sont multipliées, mais aucune d'entre elles ne mérite réellement le qualificatif de conseil qu'implique pourtant la catégorie des « robo-advisors » à laquelle elles appartiennent. La britannique Envizage propose une vision affinée de ce qu'elles devraient toutes offrir.

Naturellement, tous les acteurs du secteur – des américains WealthFront et Betterment aux français Yomoni, WeSave, Nalo… en passant par l'anglais Nutmeg – introduisent en amont de leur parcours de souscription une notion de projet, destinée à matérialiser les objectifs que le client veut atteindre grâce à ses efforts. Malheureusement, aussi élaborées soient ces approches, elles restent souvent superficielles car elles pré-supposent une compréhension préalable du besoin d'investir afin de réaliser ses rêves.

Les solutions existantes parviennent ainsi à séduire assez facilement des personnes convaincues qu'elles doivent épargner pour assurer leur avenir… mais elles laissent sur la touche l'immense majorité des consommateurs pour qui un simple message d'injonction n'est pas suffisant pour passer à l'action. Pour ceux-là, la seule solution est de « remonter » dans la chaîne des envies fondamentales et d'expliciter leur lien logique avec une stratégie d'investissement. C'est la démarche adoptée par Envizage.

Celle-ci consiste, d'une part, à appréhender et analyser le mode de vie (financier) du client et, d'autre part, à lui faire décrire son « plan personnel » à long terme, comprenant l'ensemble des grands projets qui lui tiennent à cœur (achats importants, voyages, éducation des enfants, retraite…), leur échelonnement dans le temps et les priorités qu'il assigne à chacun d'eux. En ligne de mire, il s'agit ensuite de bâtir un programme d'épargne complet et optimisé, prenant en compte l'ensemble de ces paramètres et établissant une probabilité d'atteindre les différents objectifs retenus.

Accueil Envizage

Le socle technologique que commercialise Envizage aux institutions financières désireuses d'offrir un service de conseil patrimonial de haut niveau à leurs clients n'entrant pas dans leurs conditions d'accès à la banque privée peut s'accompagner d'une palette de produits d'autres startups qui facilitent la mise en œuvre du modèle : un agrégateur de comptes (Quovo) combiné avec un outil de profilage décisionnel (OxfordRisk) permettra, par exemple, d'automatiser l'analyse de la situation et des comportements financiers.

Attention, il n'est pas question de considérer que l'approche holistique décrite précédemment est adaptée à toutes les situations. Même quand elle n'est abordée que comme un instrument de sensibilisation à la planification, l'idée de préparer toutes les grandes étapes de son existence ne peut pas convenir à tout le monde. Comme toujours, il faudra également procurer une expérience personnalisée, sur le même principe, à ceux qui n'ont en cible qu'un ou deux objectifs à court ou moyen terme.

Il reste que la perspective retenue par Envizage est d'abord celle du consommateur, qui, dans la majorité des cas, n'a que faire d'un conseiller en investissement – qu'il soit humain ou robot – mais aurait plutôt besoin d'un conseiller en projets de vie. Dans cette capacité, ce dernier n'a d'ailleurs aucune raison de se restreindre à la gestion de portefeuille : il peut (et doit) également accompagner son client dans ses recherches de crédit, d'assurances… qui, tous, concourent à la réalisation de ses ambitions.

À lire aussi, à propos d'Envizage, cet article d'Efi Pylarinou pour Daily FinTech.

mardi 19 juin 2018

Comment « digitaliser » la culture d'entreprise ?

Morgan Stanley Wealth Management
La transformation « digitale » des entreprises repose sur deux piliers essentiels : l'un, technologique, relativement facile à cadrer (sinon à construire), et l'autre, culturel, à la fois délicat et long à édifier et à enraciner. Une initiative de Morgan Stanley nous donne l'occasion de réfléchir sur ce sujet complexe et, en conséquence, souvent négligé.

C'est dans sa division de gestion patrimoniale, probablement parmi les plus rétives au changement, que la banque américaine a mis en place sa nouvelle démarche. Pour environ un tiers des quelques 1 200 conseillers qu'elle recrute et forme chaque année, elle a mis au point un programme pédagogique spécial, entièrement centré sur une approche « digitale » de leur métier (dont, notamment, l'utilisation des outils informatiques mis à leur disposition), en complément de son cursus financier classique.

L'objectif visé n'est pas seulement de déployer progressivement dans les agences des collaborateurs mieux adaptés aux enjeux contemporains de la banque. Il s'agit aussi de faire de ces débutants les ambassadeurs de la transformation, dont un des rôles est d'accompagner la conversion de leurs collègues plus anciens dans l'organisation. Outre la diffusion de la culture « digitale » qu'elle favorise, l'approche a un autre bénéfice : elle permet aux jeunes embauchés d'apporter une valeur immédiate plutôt que d'être uniquement perçus comme une charge supplémentaire par leurs aînés.

Pour toutes les institutions financières, le défi est gigantesque : même quand le besoin de faire évoluer les mentalités et les habitudes des employés est accepté et intégré par leurs dirigeants, il faut encore lutter contre l'immobilisme de 80 à 90% d'entre eux – ceux qui ont peur du changement ou, plus simplement, préfèrent le confort de la routine. Ne compter que sur l'apport de sang neuf pour accélérer le mouvement est alors voué à l'échec : sans plus d'effort, les bonnes volontés sont vite diluées dans les traditions.

Pour réussir, il faut donc rechercher les moyens de rendre virale la propagation de la nouvelle culture. C'est justement ce qu'expérimente Morgan Stanley, apparemment avec un certain succès. Il faut tout de même noter que sa méthode n'est pas sans pièges : il lui faut, par exemple, s'assurer en amont que ses processus de recrutement sélectionnent des profils nativement « digitalo-réceptifs » (il ne suffit pas d'être jeune !) ou que leur insertion dans des équipes existantes et leur mission soient bien accueillies…

En arrière-plan, l'initiative souligne une différence fondamentale et irréductible entre jeunes pousses et grands groupes face aux mutations du monde : quand les unes créent leur culture d'entreprise en même temps que leur modèle d'activité, les autres doivent composer avec leur histoire. Et s'il est envisageable d'ajouter des technologies modernes sur un vieux système en place, les comportements humains ont plus tendance à s'influencer et à effacer derrière une norme égalisatrice l'innovation portée par une minorité. Ainsi, dans ce domaine, il est vain de tenter de répliquer un « esprit startup ».

Siège de Morgan Stanley

lundi 18 juin 2018

La résurrection du paiement en ligne sans carte

NatWest
L'idée de régler les achats en ligne par virement interbancaire est aussi ancienne que le e-commerce. Elle est même parvenue à s'imposer dans quelques pays (en Allemagne, notamment). Aujourd'hui, à la faveur des évolutions technologiques et réglementaires récentes, la britannique NatWest cherche à lui donner une nouvelle impulsion.

Car, en dehors des exceptions historiques, souvent dues à une culture pré-existante de paiement en espèces, les règlements par carte sont incontestablement ultra-dominants dans le commerce en ligne. Pourtant, la filiale de RBS estime que la généralisation en cours des systèmes de virement instantané (« Faster Payments » au Royaume-Uni) et les exigences d'ouverture des comptes bancaires incluses dans la deuxième directive européenne des services de paiement (DSP2) lui offrent une opportunité.

L'expérimentation qu'elle a lancée avec le distributeur de téléphonie mobile Carphone Warehouse est initialement très limitée, puisqu'elle ne concerne que le versement de la franchise lors du remplacement d'un appareil couvert par son assurance et elle n'est opérationnelle que sur iPhone (suis-je le seul à noter ici une absurdité ?). En pratique, sur la page de paiement, le client peut choisir un bouton « NatWest Pay », qui va automatiquement le renvoyer sur l'application de la banque pour valider la transaction.

Dans un premier temps, seuls les clients de NatWest peuvent profiter du service (a priori, les autres ne devraient pas voir l'option sur leur écran). Cependant, l'objectif ultime est bien de le rendre accessible à tous les consommateurs, quel que soit l'établissement teneur de leur compte, en capitalisant sur les dispositions de la DSP2, autant pour la consultation du solde disponible – permettant d'émettre une alerte en cas de risque de découvert, par exemple – que pour l'exécution effective du transfert.

NatWest Pay

Les bénéfices de la solution sont toujours identiques depuis les premières tentatives du genre. Celui qui sera fréquemment mis en avant en priorité est le surcroît de sécurité qu'il apporte à la fois au marchand et à son client, en instituant un passage obligé par le site de NatWest – agissant là en tiers de confiance – au cours de l'opération. L'équation économique entre également en jeu : en écartant les réseaux de carte, la banque maîtrise ses revenus et peut proposer des conditions avantageuses aux e-commerçants.

En revanche, plusieurs inconvénients tempéreront l'enthousiasme, même si le recours au virement instantané éradique les délais de paiement exaspérants d'autrefois et procure à toutes les parties une vision des flux en temps réel. En premier lieu, les marchands n'apprécieront pas une expérience utilisateur qui, bien qu'elle soit présentée comme plus fluide que la saisie des informations de la carte, introduit une rupture de parcours (la bascule vers l'application bancaire), inévitablement synonyme d'abandons de panier.

Surtout, NatWest Pay s'ajoute à une longue liste d'options de paiement, pour lesquelles il devient difficile de se faire une place sur les sites de vente en ligne. Certes, la DSP2 laisse entrevoir un modèle qui n'est pas réservé aux clients d'une seule banque, mais il ne faudra pas longtemps aux concurrents de NatWest pour déployer un système équivalent, créant un marché fragmenté peu attractif pour les commerçants. A minima, il faudrait donc plutôt envisager un effort de place, comme aurait pu l'être PayLib en France (tandis que la dépendance de ce dernier à la carte paraît toujours plus anachronique).

Ce ne sera donc peut-être pas encore tout à fait pour cette fois, mais il devrait bien être possible de concevoir, enfin, un instrument de paiement adapté au monde « digital » : entièrement dématérialisé, sécurisé, immédiat, robuste, transparent, économique…

dimanche 17 juin 2018

Pourquoi réinventer l'eau chaude ?

Lumenlab
Une annonce parmi tant d'autres… Lumenlab, le laboratoire d'innovation de MetLife, présente fièrement une de ses expérimentations, mettant la blockchain au service d'une assurance paramétrique dans le domaine de la santé. Comme souvent, l'idée semble a priori intéressante… jusqu'à ce qu'il devienne apparent qu'elle n'a pas grande valeur.

Bien que développée dans le cadre du bac à sable réglementaire de Singapour, l'initiative, baptisée Vitana, met en jeu des moyens conséquents, impliquant notamment 5 partenaires : outre MetLife, le ré-assureur Swiss Re, la chaîne de cliniques OB-GYN, l'intégrateur Cognizant et le spécialiste de la gestion de données médicales Dragon Vault. L'objectif qu'ils visent avec leur projet consiste à mettre au point une solution optimisée de couverture contre les risques de diabète gestationnel chez les femmes enceintes.

Comment fonctionne-t-elle ? La cliente commence par souscrire depuis une application mobile dédiée. Une fois la procédure terminée et la prime réglée, un contrat intelligent (« smart contract ») est déployé sur une blockchain privée, tandis que les informations personnelles de l'assurée sont sécurisées (et restent invisibles de la compagnie). Lors de ses examens cliniques, les résultats, enregistrés sous forme numérique, déclenchent automatiquement un remboursement si les conditions de la police sont réunies.

En considérant qu'un contrat intelligent n'est ni plus ni moins qu'un logiciel déclenché par un événement, où est l'apport de la blockchain dans ce parcours ? Nulle part : ce qui nous est présenté là est un mécanisme d'assurance santé tout ce qu'il y a de plus classique… dans la mesure où il a été automatisé. À y regarder de près, ce fait est même explicite dans la description de la démarche : l'enjeu est avant tout d'éliminer les défauts d'une infrastructure basée sur des silos de données et des processus manuels… et de convaincre les cliniques de « digitaliser » leurs opérations.

Or le remplacement de tâches humaines par des algorithmes est l'objet de la majorité des projets informatiques depuis des décennies, bien avant que la folie de la blockchain ne déferle sur le monde. Pourquoi faudrait-il donc introduire une nouvelle technologie afin de résoudre un problème pour lequel une solution existe déjà ? En l'occurrence, la seule justification proposée par MetLife est absolument renversante !

Il est en effet question de l'instauration d'une confiance renforcée entre le client et l'assureur, grâce à l'automatisation totale des remboursements. D'une part, l'argument implique que les intéressés s'en remettent à un contrat intelligent, alors qu'ils n'ont pas, pour la plupart, la capacité ni la volonté d'en analyser et en comprendre les termes (ce qui, dans un contexte différent, peut conduire à des dérives extraordinaires). D'autre part, il constitue un formidable aveu d'impuissance, alors qu'un des seuls avantages des institutions historiques face aux nouveaux entrants est leur capital confiance.

A minima, l'idée manque de sens économique. Car, en admettant que la blockchain offre effectivement, dans certaines circonstances, un substitut aux intermédiaires de confiance traditionnels, cette promesse s'accompagne d'un coût non négligeable (la confiance se paye !), à comparer à l'actif que représente une marque établie, dont la notoriété joue le même rôle auprès des clients. La transition d'un modèle vers l'autre peut être une option stratégique mais une telle révolution ne paraît pas être à l'ordre du jour avec Vitana.

Accueil Lumenlab

samedi 16 juin 2018

Leçon de startup : savoir quitter un marché

Venmo
Dans les grands groupes qui cherchent à s'inspirer des qualités des startups, il est coutume de citer en référence leur capacité à stopper (ou « pivoter ») à temps les projets voués à l'échec. Il est plus rare de penser à son corollaire direct, l'arrêt des solutions atteignant leur fin de vie. Venmo en fournit aujourd'hui un exemple caractéristique.

Naturellement, les cas de ce genre sont rares dans des entreprises dont la jeunesse fait qu'elles n'offrent encore que la première génération plus ou moins viable de leurs produits. Pourtant, avec l'accélération des évolutions technologiques et des changements de comportement des consommateurs, le besoin de réagir survient de plus en plus vite. Tel est donc le cas quand le spécialiste des paiements entre pairs (P2P) décide d'abandonner le web pour se concentrer sur son application mobile.

Différentes motivations entrent en jeu dans cette décision – dont, probablement, le positionnement concurrentiel de Venmo vis-à-vis de son propriétaire PayPal – mais la raison principale, et la seule évoquée officiellement, est la désaffection des utilisateurs. Disponible à l'origine uniquement sur smartphone, le service se devait d'offrir une déclinaison sur le web tant que les usages mobiles restaient relativement marginaux. Ceux-ci étant désormais ultra-dominants, l'heure est venue de recentrer les efforts.

Ce qui retient l'attention dans la démarche de la jeune pousse est qu'elle n'attend pas que tous ses clients aient quitté sa plate-forme en ligne. D'ailleurs, elle affronte sur les réseaux sociaux l'ire de ses derniers adeptes. Elle considère simplement que la fréquentation a franchi un seuil à partir duquel il vaut mieux la fermer plutôt que de continuer à lui consacrer des ressources, a minima en maintenance. Il ne s'agit que d'un mode de fonctionnement sous contraintes (financières), classique pour une startup.

Voilà une approche qui mériterait de faire réfléchir dans les institutions financières qui accumulent un lourd passif de produits et de technologies depuis des décennies, notamment par crainte de s'aliéner quelques clients. Il n'est pas même pas nécessaire d'être aussi abrupt que Venmo : l'abandon d'un service peut se préparer et s'opérer en douceur, autant pour les utilisateurs que pour les collaborateurs qui en ont la charge. En revanche, il est absolument déraisonnable de laisser la situation se déliter.

Alors que les banques voient leurs clients se ruer sur leurs applications mobiles (BBVA compte ainsi atteindre 50% d'adoption parmi ses clients en 2019), le parallèle avec Venmo est intéressant à explorer. Il ne sera certes pas question, à ce stade, de fermer totalement les plates-formes web (ou les agences). Mais il peut être salutaire de commencer dès maintenant à identifier les services dont l'utilisation est en forte baisse sur ces canaux et à envisager comment ils pourront être progressivement supprimés.

L'idée peut paraître extrême mais l'alternative est beaucoup plus inquiétante : à force d'entretenir la multitude de solutions développées au fil du temps, sans jamais en retirer aucune (ou presque), les entreprises se sont accoutumées à engloutir une masse considérable de ressources et de budgets dans leur maintien en vie (et dans des évolutions incontournables, telles que les adaptations pour conformité réglementaire), se privant de la sorte de moyens d'investir dans des projets d'avenir.

App mobile de Venmo

vendredi 15 juin 2018

Shine, la petite néo-banque qui monte

Shine
Historiquement délaissés par les grandes banques traditionnelles, les travailleurs indépendants ont désormais à leur disposition une offre en pleine expansion, grâce à l'apparition d'une nouvelle génération d'acteurs. Shine est l'un d'eux et, 3 mois après son ouverture, son modèle d'accompagnement étendu a déjà séduit 10 000 adeptes.

Pour remporter un tel succès, la jeune pousse française ne se contente pas de fournir (gratuitement) à sa cible de clients professionnels un compte de paiement avec un parcours de souscription simplifié. Elle porte aussi – et, peut-être, d'abord – l'ambition d'éliminer ou de réduire les petits tracas de leur vie quotidienne. Par exemple, dès l'entrée en relation (exclusivement à travers son application mobile), elle propose aux micro-entrepreneurs de prendre en charge les démarches de création de leur statut.

En pratique, la partie bancaire de la solution – qui se limite, pour l'essentiel, à un compte et une carte prépayés – n'est presque qu'un prétexte ou, en tous cas, qu'une composante parmi d'autres. En effet, la composition et l'envoi de facture en quelques clics, avec acceptation des règlements par carte ou virement, la réconciliation automatique lors du paiement, les notifications en cas de retard… sont des fonctions tout aussi, voire plus, importantes. La gestion des dépenses (avec les reçus) est également assistée.

Bien que Shine s'adresse aux indépendants opérant sous diverses formes juridiques, son application est particulièrement adaptée aux micro-entrepreneurs. Outre l'aide au démarrage, elle leur consacre un ensemble de services personnalisés, notamment en matière de suivi des charges : estimation en temps réel des cotisations sociales et autres taxes, rappel des échéances de déclaration et de paiement… Elle devient ainsi, de fait, un véritable copilote de l'activité de son utilisateur, d'autant qu'une option de tchat permet en outre d'obtenir une aide complémentaire 7 jours sur 7.

Shine

À l'usage, la solution n'est pas exempte de défauts et il arrive de rencontrer des anomalies plus ou moins gênantes dans les processus et dans l'application mobile. Il faut donc considérer que Shine est encore en construction (ce qui mériterait d'être plus explicite) sachant que l'équipe gère cette situation avec une réactivité et une efficacité exemplaires (y compris par des interventions manuelles), qui pourraient constituer une référence pour toute entreprise se lançant dans une expérimentation avec ses clients.

Naturellement, les sceptiques se gausseront d'une offre qui, étant entièrement gratuite, à ce stade, n'a aucun modèle économique ni la moindre perspective de viabilité. Or ils devraient probablement s'inquiéter de ce choix plutôt que de le railler. Car la stratégie de Shine semble consister à faire des services financiers les briques d'un produit d'appel, au moins pour une partie d'entre eux, en estimant que la valeur qu'elle apporte à ses clients et pour laquelle ils seront prêts à payer réside ailleurs.

Il ne s'agit finalement que d'une évolution logique de l'immersion de la banque dans les moments de vie (des professionnels comme des consommateurs) : quand les gestes financiers disparaissent derrière la satisfaction d'un besoin plus large, qui peut être aussi basique que la facturation d'une prestation ou le règlement des charges et des impôts, il devient plus difficile de justifier leur coût direct, alors qu'une proposition d'assistance personnalisée sur l'ensemble de ces actes est potentiellement facile à valoriser.

jeudi 14 juin 2018

L'assurance contextuelle arrive dans les VTC

Sure
Les chauffeurs de VTC américains ont depuis longtemps accès à une option d'assurance contextuelle (avec Slice). Dorénavant, leurs passagers peuvent également souscrire une couverture à la demande, avec RideSafe™, de la jeune pousse Sure (et Chubb, en arrière-plan). Il reste toutefois largement matière à améliorer le concept…

Le principe retenu est conforme aux standards du genre, dont Sure se fait d'ailleurs une spécialité dans de nombreux domaines. L'utilisateur souscrit une police contre le décès et autres accidents en quelques gestes – dont une connexion avec son compte Uber ou Lyft (les 2 principaux services de voiture de tourisme avec chauffeur aux États-Unis) – depuis son smartphone, pour une durée minimale de 24 heures. Une fois la procédure achevée, la garantie entre automatiquement en action pour chaque course détectée.

Naturellement, les conducteurs ont une obligation de souscrire une assurance en responsabilité civile, couvrant, entre autres, leurs passagers, qui peut paraître suffisante. Pour justifier son offre, Sure juge cependant qu'il est impossible de connaître les garanties incluses dans ces contrats (dont les adhérents sont tentés de minimiser le coût) et que les plates-formes cherchent en priorité à se protéger, par une multitude d'exclusions, plutôt que de se soucier réellement de la protection de leurs clients.

Si la situation est aujourd'hui aussi déplorable que le suggèrent ces arguments, il n'en reste pas moins que les entreprises de VTC devraient mieux assumer leur responsabilité vis-à-vis des personnes transportées et prendre à leur charge, d'une manière ou d'une autre, une assurance minimale. Celle-ci n'empêcherait pas Sure (ou un autre acteur) de proposer des garanties complémentaires aux consommateurs les plus exigeants. En revanche, il serait alors souhaitable que le niveau de contextualisation soit renforcé.

RideSafe™ par Sure

En effet, la promesse serait plus convaincante si la couverture était ajustée en fonction des autres contrats existants (au moins ceux de la plate-forme, à défaut de pouvoir accéder à celui du chauffeur, et ceux dont peut disposer le client par ailleurs). En outre, il ne semble pas raisonnable de fixer un montant de prime à la journée pour un produit qui s'active automatiquement à la commande d'une course. Une facturation par trajet (proportionnelle à sa durée ?) serait beaucoup plus cohérente et attractive…

En dépit de ses imperfections, RideSafe™ est exemplaire de la tendance inéluctable vers des solutions d'assurance qui s'adaptent de manière transparente aux actes de la vie courante. Sure prévoit ainsi de décliner son idée pour les futurs VTC autonomes, le partage de vélos ou de scooters… À chaque fois, les technologies (souvent ouvertes) mises en œuvre afin d'opérer ces services procurent autant d'opportunités de simplifier la vie des consommateurs qui désirent se protéger en toute circonstance.

mercredi 13 juin 2018

Quand les rêves des banques rétrécissent

Hello Bank!
Il y a quelques années, avec le développement fulgurant des services en ligne, les institutions financières commençaient à s'imaginer comme tiers de confiance de l'identité numérique de leurs clients. D'hésitations en tergiversations, elles n'ont jamais concrétisé leurs rêves et se voient désormais reléguées à un rôle d'intermédiaire technique…

L'idée d'origine reste d'actualité : notre vie quotidienne – personnelle, professionnelle et citoyenne – est jalonnée de connexions à des plates-formes sécurisées qui requièrent une garantie plus ou moins rigoureuse de l'identité de leurs utilisateurs. Les banques, étant soumises à des contraintes du même ordre depuis toujours et ayant dû en gérer très tôt la déclinaison sur leurs applications web, semblaient pouvoir trouver là une opportunité idéale de mettre leur savoir-faire au service d'un nouveau métier.

En 2011, le gouvernement canadien intégrait ainsi les solutions existantes de gestion d'identité de quelques grandes banques afin de contrôler l'accès aux sites de ses administrations. En revanche, quand le Royaume-Uni lançait une consultation publique pour mettre en place une démarche similaire, aucune institution financière historique n'était retenue (alors que PayPal l'était). Depuis cette époque, le concept ressurgit de temps à autre, mais, dans la plupart des cas, les risques (de fraude, d'abus, de réputation…) liés à une telle activité réfrènent les ardeurs des grands groupes.

Pourtant le besoin d'identité numérique n'a pas disparu. Au contraire, il n'a fait que se renforcer, en ajoutant, de surcroît, des exigences de sécurité adaptées à l'évolution constante des cybermenaces. Alors, dans plusieurs pays, les états se sont emparés du sujet pour leurs propres services en ligne (avec France Connect dans l'hexagone ou SPID en Italie, par exemple), en s'appuyant sur des entités publiques ou semi-publiques (dont la Poste, très souvent) pour en prendre en charge une partie de la logistique.

SPID par Hello Bank!

Il n'est certes pas nécessairement trop tard pour revenir sur le marché mais rien ne laisse entrevoir que les banques – individuellement ou collectivement (ce qui serait plus sensé) – aient l'intention sérieuse de ressusciter leurs plans d'autrefois. Et, comme l'illustre Hello Bank! en Italie il ne leur reste alors qu'une possibilité pour ne pas abandonner totalement la partie : devenir un simple prestataire technique pour les fournisseurs (sur la phase de certification de l'identité des clients, en l'occurrence), aux côtés de la Poste…

L'initiative de la filiale mobile de BNP Paribas permet donc uniquement à ses utilisateurs d'obtenir plus rapidement, en quelques clics et sans avoir à se rendre dans une agence postale, leur carte d'identité numérique SPID. Celle-ci est d'ores et déjà utilisable sur les sites web de l'administration publique et l'objectif est de la déployer progressivement aussi dans les entreprises privées. Il est difficile de ne pas considérer qu'il s'agit là d'une extraordinaire occasion manquée pour les banques, qui augure mal de leur capacité – bientôt indispensable – à prendre des risques pour ré-inventer leurs métiers.

mardi 12 juin 2018

Revolut et l'opportunité du paiement instantané

Revolut
Lorsque le VTC français SnapCar veut offrir à ses chauffeurs la possibilité de percevoir leur rémunération plus rapidement, il se tourne vers la néo-banque britannique Revolut, qui profite ainsi du retard pris par les établissements traditionnels de l'hexagone dans le développement et la mise en œuvre du paiement instantané.

La vie des chauffeurs affiliés aux grandes plates-formes de VTC n'est pas toujours facile, entre des niveaux de revenus sans cesse tirés vers le bas et une gestion de trésorerie rendue difficile par l'exigence de régler de lourdes charges (acquisition du véhicule, assurance et entretien, carburant…) avant même de commencer à travailler. Aux États-Unis, Uber a contribué à répondre à ce dernier défi il y a plus de deux ans en proposant à ses conducteurs de verser le prix de leurs courses dès la fin de celles-ci.

Sans aller aussi loin, SnapCar permet dorénavant à ses propres chauffeurs de récupérer chaque matin, en un geste, 80% du montant gagné la veille, au lieu du versement hebdomadaire qui constitue la norme aujourd'hui. Pour bénéficier de cette option, entièrement gratuite, il leur suffit d'ouvrir un compte professionnel auprès de Revolut, sur lequel seront versées les sommes dues quelques secondes après leur demande, la carte de débit associée leur permettant alors de régler leurs charges courantes.

SnapPay

Le choix de Revolut pour la mise en place de ce service est clairement expliqué par SnapCar : outre les prix avantageux consentis par la startup (qu'elle justifie par l'efficacité de sa technologie), aucune banque historique ne disposait des capacités requises. À l'heure actuelle, seul un nouvel entrant est en effet en mesure, en France, de prendre en charge des virements instantanés, 24 heures sur 24 et 365 jours par an, week-ends et jours fériés compris, ce qui représente un critère important pour la population visée.

La nouvelle du partenariat n'empêchera probablement pas de dormir les banquiers qui ont raté cette opportunité. Pourtant, elle est révélatrice d'une de leurs erreurs les plus fréquentes et les plus graves : le manque de considération pour les attentes de leurs clients. S'étant persuadés qu'ils n'étaient pas intéressés par le paiement instantané, sous prétexte qu'ils n'en exprimaient pas le besoin, ils ne se sont pas rendu compte que le sujet devenait une source de frustration pour un nombre croissant d'entre eux.

Tant qu'aucun acteur ne répond à de telles insatisfactions latentes, tout va bien (en apparence). Malheureusement, dès qu'une initiative montre qu'il est possible de l'éliminer, la solution a toutes les chances de s'imposer très rapidement comme un standard. Et ceux qui n'y ont pas cru plus tôt se lancent dans une course désespérée et désordonnée afin de rattraper leur retard… Au-delà du paiement instantané, il existe une multitude d'autres sujets que les banques dédaignent à tort et qui feront de la même manière le bonheur d'entrepreneurs plus aptes à détecter les tendances « souterraines ».

lundi 11 juin 2018

Banquiers, où est votre charte de l'IA ?

Google
Dans les institutions financières (et ailleurs), il est de bon ton de décrier les pratiques des géants du web et leur exploitation présumée abusive des données de leurs utilisateurs. Pourtant, initiative après initiative, et bien qu'ils ne soient pas exempts de reproches, ils font preuve de plus de transparence et de bonne volonté que leurs critiques…

L'entrée en vigueur, le mois dernier, du règlement européen pour la protection des données personnelles (RGPD) a constitué un premier révélateur de l'écart qui sépare les pratiques. En effet, ces dernières semaines, vous avez certainement été submergé par les messages de mise à jour des conditions d'utilisation d'une multitude de fournisseurs, pour mise en conformité. Votre banque était-elle du lot ? Selon toute probabilité, non. Peut-être n'avait-elle aucune raison de vous importuner de la sorte ?

En réalité, il en était de même pour beaucoup d'autres entreprises, qui avaient fait l'effort d'adapter leurs politiques bien avant la date fatidique. La différence est que certaines d'entre elles ont estimé que le bruit médiatique entourant le nouveau texte représentait une opportunité idéale de communiquer avec leurs utilisateurs, afin de les rassurer, tandis que d'autres, habituées à la discrétion, ne prenaient même pas la peine de ré-affirmer à leurs clients qu'elles protègent leur vie privée, depuis toujours.

Cette attitude expose la certitude qu'ont une bonne partie des institutions financières qu'elles ont la confiance de leurs clients, qu'elle est inébranlable et qu'il est donc inutile de souligner les engagements pris pour continuer à la mériter. Seule une minorité parmi elles (Crédit Agricole, MAIF, notamment) ont pris le soin de poser un certain nombre de principes éthiques dans une charte publique, tandis que les démarches de ce genre se propagent chez les géants technologiques en quête de respectabilité.

Advancing AI for everyone

C'est ce que vient justement de faire Google, par exemple, vis-à-vis de son utilisation de l'intelligence artificielle, dont les enjeux sociétaux apparaissent considérables. Publiée par son directeur général, Sundar Pichai, sa charte définit les règles que s'impose le groupe en la matière : viser des objectifs socialement bénéfiques, éviter la création ou le renforcement de biais indésirables, garantir la sécurité des applications, assumer sa responsabilité devant les utilisateurs, intégrer le respect de la vie privée, maintenir les plus hauts standards scientifiques, faciliter les usages respectueux de ces principes…

Naturellement, les cyniques ne manqueront pas de faire valoir qu'il ne s'agit que d'une déclaration d'intention, qui peut être reniée à tout moment. Elle établit toutefois un point d'ancrage essentiel, à partir duquel, d'une part, les actes futurs de Google seront jaugés, et, d'autre part, toutes les initiatives qui suivront seront comparées. En créant, de facto, le premier référentiel éthique de l'IA, l'entreprise prend automatiquement un avantage en termes de confiance (qui, certes, peut se dégrader très rapidement).

Par contraste, les acteurs qui gèrent des informations sensibles (l'argent) pour les consommateurs et qui n'assument pas la transparence devenue partout la norme seront traités avec suspicion à la moindre velléité de mise en œuvre de l'IA, quelle qu'en soit la motivation. C'est ce qui se produit déjà avec les tentatives d'utilisation des données, aboutissant parfois à des crises majeures, et ce phénomène n'ira qu'en s'amplifiant. Alors, à quand une charte de l'intelligence artificielle dans une institution financière ?

dimanche 10 juin 2018

La banque de demain sera une plate-forme

Marcus
Quand la grande banque d'investissement Goldman Sachs lançait il y a 2 ans son offre Marcus à destination des particuliers, l'initiative avait de quoi surprendre. Après l'acquisition de la solution de gestion de finances personnelles Clarity, sa stratégie commence à prendre forme et elle révèle un positionnement de plate-forme, projeté sur l'avenir.

Au premier abord, la création d'une nouvelle activité de détail reposant sur un modèle traditionnel de prêts personnels adossés à des comptes d'épargne ne pouvait tomber en pire période que celle choisie par Goldman Sachs (en 2016, donc), alors que les taux d'intérêt extrêmement bas érodaient impitoyablement les marges dans tout le secteur. Cependant, deux ans plus tard, l'éclairage apporté lors d'une conférence laisse entrevoir une vision à long terme beaucoup plus ambitieuse et prometteuse.

Dans la courte partie de l'intervention qui était consacrée à Marcus (dont le support est reproduit ci-dessous), le plan devenait en effet très clair, visant à bâtir progressivement une solution complète, articulée autour des 4 piliers des services financiers : paiement, épargne, crédit et assurance (protection). Mais, plutôt que de chercher à en construire chacune des briques, Goldman Sachs expose clairement son choix de combiner ses propres produits avec d'autres, potentiellement fournis par des tiers.

Au cœur de l'approche figurent donc les prêts personnels et les comptes d'épargne existants, auxquels viendront s'adjoindre la gestion de patrimoine qui fait déjà partie du cœur de compétence de la banque. Tout le reste – comprenant crédit hypothécaire et automobile, assurance (vie, santé, et autres) et même compte courant et paiements – pourra s'appuyer sur des offres externes dont Marcus ne sera qu'un distributeur.

Stratégie Marcus

Enfin, au centre de ce qui ressemble jusqu'ici à un assemblage hétéroclite, Clarity Money constitue la clé de voûte de la future plate-forme. Dans cette optique, elle devra enrichir ses capacités d'agrégation et de synthèse – qui proposent à l'utilisateur une vue à 360° de ses finances personnelles – en complétant ses options de conseil personnalisé, pour couvrir une palette de services étendue, et en fédérant un ensemble de fonctions transverses, telles que le KYC, afin de rendre l'accès aux produits plus transparent.

La multiplication des fournisseurs de services financiers, particulièrement en dehors de l'écosystème historique, rend inévitable l'émergence d'une nouvelle génération d'intermédiaires capables d'en simplifier la sélection et la gestion quotidienne pour le consommateur. Les incursions de plusieurs institutions (outre Goldman Sachs, citons ING avec Yolt et BPCE avec Fidor) démontrent qu'il s'agit d'une tendance à ne pas prendre à la légère, susceptible de redéfinir le visage de la banque de demain. Et, dans cette hypothèse, elle peut aussi être abordée comme une stratégie de modernisation…