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vendredi 31 mai 2019

Trois banques s'allient pour innover

CIBC
Historiquement, les banques adoptent souvent une vision relativement « nationaliste » de leurs métiers : chacune considère que les produits et services financiers, ainsi que les usages et habitudes des clients, sont suffisamment différents d'un pays à un autre pour limiter l'intérêt d'un partage de bonnes pratiques à travers les frontières.

Depuis 2016, trois banques issues de trois continents, NAB en Australie, CIBC au Canada et Bank Leumi en Israel, ont choisi de dépasser leurs préjugés et ont créé une alliance stratégique afin de développer des collaborations dans les domaines où elles font du sens. Une des matérialisations de leur engagement est le lancement ces jours-ci d'un portail (pour l'instant en phase de pilote) destiné à recueillir les propositions de startups de la FinTech sur quelques thématiques communes prédéterminées.

Avec cette initiative, l'ambition des trois partenaires est de mutualiser leurs efforts dans la recherche de solutions (technologiques) originales face à l'urgence spécifique qu'ils perçoivent d'améliorer l'expérience client dans certains secteurs prioritaires. En l'occurrence, la première cible soumise à candidature concerne les opportunités d'offrir des services à valeur ajoutée aux petites et moyennes entreprises en complément de leurs besoins bancaires au quotidien. L'exemple souligne parfaitement la réalité d'une possible convergence d'intérêts entre des régions et établissements hétérogènes.

Concrètement, les jeunes pousses désireuses d'exposer leur savoir-faire, dans la mesure où celui-ci est aligné avec les attentes exprimées, sont invitées à remplir un formulaire en quatre étapes : choix du challenge, sélection de la ou des banques (parmi les 3) qu'elles veulent accompagner, présentation de leur structure (éléments « administratifs ») et description de leur offre (y compris un incontournable « pitch »). Après analyse de leurs dossiers, elles seront contactées directement pour approfondir les échanges.

Global Alliance FinTech Link

Soyons honnête : la pauvreté du dispositif actuel est décevante en regard du potentiel de l'idée sous-jacente. En effet, pour les startups qui joueront le jeu, l'avantage du portail mis à leur disposition reste mince, car il ne couvre qu'une étape préliminaire de découverte, au périmètre excessivement large, sans grand espoir d'aboutir à un projet réel. Il rappelle une tentative similaire de BNP Paribas avec OpenUp, aujourd'hui abandonnée (apparemment), qui a probablement souffert de ce même défaut.

Espérons donc qu'une prochaine itération explore plus en profondeur la valeur d'une coopération entre des entreprises d'un même secteur mais possédant certainement des richesses complémentaires. Ainsi, ne pourraient-elles pas utiliser leur plate-forme dans le but d'élaborer des appels à projets communs, au sein desquels elles pourraient non seulement demander à des acteurs externes de les aider à innover mais également s'inspirer mutuellement dans la définition de la solution à bâtir ? Peut-être est-ce une utopie mais elle aurait le mérite de donner une vraie perspective à leur collaboration.

jeudi 30 mai 2019

Inshur, l'assurance comportementale des VTC

Inshur
Elle n'est certes pas la première assurance conçue spécifiquement pour les chauffeurs de VTC mais l'offre concoctée par Inshur en collaboration avec Uber au Royaume-Uni fait tout de même figure de pionnière, en intégrant un processus de souscription instantané et une tarification ajustée en fonction du comportement au volant.

Avec de nombreuses compagnies traditionnelles, le conducteur doit remplir et retourner, par voie postale, une série de formulaires imprimés, à moins qu'il ne soit contraint de se rendre dans une agence ou chez un courtier afin de procéder aux formalités nécessaires. Puis il lui faudra encore patienter, parfois plusieurs jours, avant de recevoir sa police… et la confirmation qu'il peut (enfin !) commencer à réaliser des courses.

Avec Inshur, il lui suffit d'installer une application mobile puis de se connecter avec ses identifiants Uber. Une fois vérifié son contrat avec la plate-forme de VTC, il transmet des photographies de son permis de conduire, sélectionne le type de couverture souhaité, fournit ses informations de paiement… et le tour est joué. En moins de 3 minutes, toutes les données et les documents sont contrôlés, automatiquement, le certificat d'assurance est téléchargé sur le téléphone de l'utilisateur et il peut démarrer son activité.

En parallèle, Uber est tenu en permanence au courant du statut de son chauffeur : une notification lui est donc adressée dès la finalisation de la souscription, ainsi que, le cas échéant, lorsque la police arrive à expiration ou est résiliée. La jeune pousse affirme même être en mesure d'identifier les tentatives de fraude (sur le permis de conduire, par exemple) et elle pourrait, apparemment, alerter l'opérateur dans ce cas.

Accueil Inshur

Grâce à son interface directe avec les systèmes d'Uber, Inshur ajoute une capacité inédite à sa solution : les primes facturées à ses clients sont personnalisées selon leur mode de conduite, ce dernier étant évalué à partir des données collectées sur les courses effectuées (localisation, trajets, avis recueillis…). Outre le bénéfice pour la collectivité et pour l'assureur, l'adoption de ce principe constitue également un enjeu important pour l'opérateur, qui désire, naturellement, garantir la sécurité des passagers.

Contrairement aux approches de modulation des tarifs appliquées sur les produits destinés au grand public, leur déclinaison sur des assurances professionnelles pourrait devenir rapidement la norme. En effet, même si les conducteurs tendent à avoir les mêmes réticences en toute circonstance, la pression des plates-formes risque de ne guère leur laisser le choix… L'objectif devenant alors plus ou moins explicitement d'écarter les chauffeurs potentiellement dangereux de leurs troupes d'affiliés.

mercredi 29 mai 2019

Voici Gina, le chatbot de crédit de La Caixa

imaginBank
Comme la plupart des chatbots bancaires, celui que CaixaBank a déployé en 2017 au sein de l'application de sa filiale 100% mobile, imaginBank, voyait jusqu'à présent son rôle cantonné à la seule recherche d'information. Dans sa dernière itération, il prend du galon puisque, désormais, il est également en mesure d'accompagner les clients dans leur souscription de crédit à la consommation.

D'emblée, la nouvelle fonction est étroitement intégrée dans le contexte de la gestion des comptes. Ainsi, l'utilisateur peut demander à Gina (c'est le nom du chatbot), par message écrit ou par la voix, de financer une dépense de son choix parmi celles qu'il a réalisées avec sa carte imaginBank au cours de la semaine précédente. Il se voit alors proposer l'étalement du paiement sur 3, 6 ou 9 mensualités, dans les conditions habituelles d'un crédit personnel. L'ensemble de la procédure prend moins d'une minute.

Plus ambitieux encore, dans une logique de conseil proactif, le système est aussi capable de détecter lui-même les situations dans lesquelles le client a potentiellement besoin d'un coup de pouce – vraisemblablement en combinant une projection du solde de son compte avec l'identification d'achats exceptionnels. Gina prend dans ce cas l'initiative de suggérer le recours à un règlement fractionné, en affichant une invitation lors de l'ouverture de l'application mobile, qui permet ensuite de souscrire en quelques gestes.

Gina, le chatbot d'imaginBank

Au-delà de son expérience utilisateur conversationnelle et des outils assurant la gestion des échanges (traitement de la voix et du langage naturel…), la plate-forme de CaixaBank met en œuvre une intéressante palette de technologies afin de remplir son rôle. Une approche d'apprentissage automatique est notamment exploitée pour établir la stratégie de recommandation contextuelle, tandis que des modèles d'analyse de données originaux contribuent à valider l'éligibilité des emprunteurs en quasi temps réel.

Avec cet ajout, la banque espère accroître de 15% ses ventes de crédit à la consommation (qui ne représentent aujourd'hui qu'environ 1 200 opérations par mois pour les 1,2 millions de clients d'imaginBank). Ces volumes sont modestes mais ils soulignent que l'un des premiers objectifs de sa marque mobile est, pour La Caixa, de servir de pilote de l'innovation : des concepts disruptifs peuvent y être expérimentés sur une population plus « digitale » et en limitant les impacts sur son activité principale.

En l'occurrence, il existe un risque certain à intégrer dans une application bancaire des encouragements à recourir au crédit, entre les inévitables approximations initiales des conseils personnalisés (avant que l'apprentissage automatique n'en ait parfait les critères) et les possibles réactions négatives des utilisateurs. Pourtant, il fait peu de doute que, une fois calibré, le principe devienne un standard incontournable. Pour un établissement convaincu de cette vision, il « suffit » d'oser se lancer, après avoir déterminé les conditions dans lesquelles la phase de mise au point sera exécutée.

mardi 28 mai 2019

L'IA automatise le crédit documentaire

Standard Chartered Bank
En dépit des promesses de la dématérialisation, la manipulation de documents imprimés reste un pilier de nombreux processus bancaires. Le financement des échanges commerciaux étant un de ses métiers les plus encombrés de papier, Standard Chartered a cherché à en automatiser le traitement pour améliorer son efficacité opérationnelle.

À travers ses différentes implantations, réparties en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, la banque, très en pointe dans le domaine, prend en charge plus de 36 millions de documents par an, dont elle extrait 200 millions d'éléments d'information nécessaires à l'analyse des dossiers de crédit qui lui sont soumis. La plupart des pièces transmises étant sous forme physique, leur exploitation était jusqu'à maintenant assurée par des personnes, avec les délais et les risques d'erreur que cela peut induire.

La possibilité de supprimer, ou, à tout le moins, limiter, les tâches manuelles en les remplaçant par des outils automatiques représente donc un enjeu considérable, autant dans le but d'offrir une meilleure réactivité aux clients que pour réduire les coûts de fonctionnement. Or, sans même invoquer l'intelligence artificielle que se targuent de mettre en œuvre Standard Chartered et IBM, son partenaire pour l'occasion, les solutions disponibles aujourd'hui permettent de se rapprocher concrètement d'un tel objectif.

Traitement automatique des documents pour le financement du commerce

En l'occurrence, le « Trade AI Engine », désormais actif dans plusieurs pays de présence de la banque, combine habilement un logiciel de reconnaissance de caractères, dont le rôle est de convertir les imprimés en documents électroniques exploitables par ordinateur, un moteur de catégorisation assisté d'un mécanisme d'auto-apprentissage, capable de classer les différents types de pièces reçues selon des critères pré-déterminés, et un module d'analyse du langage naturel, qui en extrait le sens et le contexte, afin de fournir au décisionnaire tous les éléments qui lui sont utiles afin d'exercer son jugement.

Loin des éclats de la « digitalisation » (qui recouvre plus que la seule automatisation des opérations), les institutions financières regorgent toujours, en 2019, d'une multitude de processus dans lesquels des « petites mains » assument tout ou partie des tâches (rarement les plus valorisantes), expliquant pourquoi des frictions incompréhensibles affectent certaines transactions. Tout autant que les systèmes informatiques obsolètes, cet héritage d'une autre époque doit impérativement être modernisé de toute urgence. À défaut, la menace de disruption (et de disparition) ne restera pas théorique longtemps.

lundi 27 mai 2019

Vers des agences bancaires multi-marques ?

Parlement du Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, la transition à marche forcée vers la banque « digitale » soulève de graves questions de société. Or quand la commission parlementaire du Trésor s'efforce de les traiter, elle tend malheureusement à démontrer combien il est difficile d'appréhender tous les paramètres du monde qui change autour de nous.

Une fois encore, c'est le rythme accéléré de fermeture des agences, notamment dans les territoires ruraux, qui suscite l'inquiétude des politiques. Tout en étant conscients de la baisse de fréquentation massive qu'a engendrée l'adoption des applications web et mobiles, ils craignent que les populations les plus fragiles, personnes âgées et à faibles revenus en tête, soient laissées sur le bord de la route, sans accès à des services financiers à proximité de leur domicile, dans le format qui leur convient le mieux.

En outre, les incidents majeurs qui affectent régulièrement les systèmes informatiques des grandes banques du pays apportent de l'eau au moulin des alarmistes. Bien que l'argument soit plutôt bancal, car le fonctionnement des points de vente repose sur les mêmes composants technologiques que les autres canaux et est donc soumis aux mêmes risques de panne, une justification émergente pour le maintien de réseaux physiques est d'offrir une solution de secours en cas d'indisponibilité des outils en ligne.

Afin de tenter de concilier les exigences contradictoires des consommateurs et des institutions financières, les parlementaires suggèrent donc la création d'« agences partagées », dans lesquelles les marques concurrentes mettraient en commun leurs ressources et leurs moyens pour servir les clients dans les zones désaffectées. Selon ses auteurs (peut-être inspirés par le cas de Starling Bank), le concept permettrait même à des nouveaux entrants de déployer une implantation locale à moindre coût !

Ceux qui suivent l'actualité du secteur outre-Manche imagineront peut-être que l'offre de délégation de service à la Poste de sa Majesté correspond justement à cette proposition. Pas du tout. En effet, ce mécanisme ne satisfait pas la commission, qui le juge trop peu connu des consommateurs, inadapté aux besoins car pris en charge par des personnes qui ne sont pas des spécialistes bancaires et non viable économiquement, son coût véritable étant finalement assumé par les contribuables.

Au bout du compte, l'idée de mutualisation envisagée par les politiques est une aberration plus ou moins totale, qui ne répond pas aux enjeux, ni des clients, ni des banques. Certes, la possibilité d'exécuter des opérations simples dans un bureau de proximité multi-enseignes peut combler une frange d'utilisateurs. Mais dès qu'il s'agira de sujets plus complexes, requérant un conseil personnalisé, le dispositif sera inopérant… précisément quand le recours à un interlocuteur humain est le plus important !

En réalité, plutôt que de vouloir à tout prix préserver un modèle (pré)historique, c'est une autre manière de concevoir la relation qu'il faudrait inventer pour réduire les risques d'exclusion à l'ère « digitale ». En la matière, les institutions – politiques et financières, toutes ayant naturellement un rôle à jouer dans les plans d'action à définir – seraient avisés de se pencher en priorité sur la culture et l'inclusion numériques des citoyens, qui, incidemment, seraient tout aussi utiles pour l'accès aux services publics…

Enfin, la crise émerge actuellement au Royaume-Uni, où la mutation est certainement plus brutale qu'ailleurs. Il ne faudrait pourtant pas en déduire que nos régions seront épargnées : les fermetures d'agences se font plus lentement (pour l'instant) mais leurs conséquences seront les mêmes. Nul (politique ou banquier) ne pourra éviter une réflexion stratégique sur l'inévitable dématérialisation de la banque et l'accompagnement de tous les clients dans le changement de paradigme qu'elle induit.

Closed

dimanche 26 mai 2019

La FinTech transforme le paysage du crédit

Card Forum
Quand les premières plates-formes de crédit entre particuliers sont nées au milieu des années 2000, les acteurs historiques du secteur n'y voyaient qu'un épiphénomène sans lendemain. Bien que certains persistent à la considérer dédaigneusement, la FinTech fait désormais plus que partie du paysage, prenant une part de marché significative.

Naturellement, en 15 ans, les modèles idéalistes des origines ont laissé place à des approches beaucoup moins disruptives. Ainsi, le principe de désintermédiation « P2P » qui constituait initialement la base des offres de Zopa, Prosper, LendingClub… s'est souvent converti en une hybridation des financements, tandis que de nouveaux entrants, tels que Square, voire Amazon ou Apple, cherchent plus à révolutionner l'expérience utilisateur tout en conservant un fonctionnement classique en arrière-plan.

La conséquence de cette maturation progressive des solutions alternatives est leur progression rapide, dont l'impact risque de surprendre les institutions qui n'y prennent pas garde. Les dernières statistiques présentées à l'occasion du « Card Forum » 2019 révèlent en effet que, aux États-Unis, la FinTech représente maintenant 38% des prêts personnels (contre moins de 1% en 2010 et 21% en 2015).  Visa estime par ailleurs que 5% de l'activité sur les cartes de crédit est détournée vers ces instruments.

Le changement est loin d'être superficiel, car il n'est pas simplement question, pour les consommateurs, de sélectionner un fournisseur plutôt qu'un autre en fonction des seules conditions commerciales qu'il propose. Ce sont également de nouvelles manières d'aborder le crédit qui commencent à s'imposer, les paiements en plusieurs fois et/ou les options de financement disponibles instantanément en caisse (physique ou virtuelle) prenant le relais de la carte de crédit jusque ici reine incontestée du domaine.

Accueil Card Forum 2019

Pour une partie des établissements de crédit en place, la menace est réelle et ne fait que prendre de l'ampleur. Ils voient notamment poindre le désir de différents intervenants de la chaîne de valeur de s'en approprier toutes les composantes, à l'instar des compagnies aériennes, pour ne citer qu'un exemple, qui veulent gérer les paiements de leurs clients, en y intégrant le financement, le cas échéant, et les programmes de fidélité. Les plus lucides réalisent alors que ces attentes doivent être prises en compte, sous peine de laisser des concurrents plus agiles prendre position et les rendre obsolètes.

Cependant, il semblerait qu'il reste encore une catégorie d'acteurs déterminés à ignorer le danger qui les guette. Leur raisonnement consiste à faire de la FinTech une sorte d'éclaireur des tendances, qui les aide à identifier la direction dans laquelle ils doivent faire évoluer leurs offres afin de rester pertinents auprès de leurs clients. Malheureusement, beaucoup de ceux-là ne prennent pas conscience de leur incapacité – ou, a minima, leur difficulté – structurelle à répliquer de manière efficace les modèles qui les inspireraient. Tout l'enjeu est bien de savoir s'adapter à une nouvelle ère !

samedi 25 mai 2019

Bitcoin se démocratise… sauf dans les banques

Coinbits
D'un côté, une affaire qui commence à se répandre dans la presse grand public, l'abandon de leurs projets par des banques qui se voyaient en pionnières… De l'autre, l'acceptation par un opérateur téléphonique, une application accompagnant les premiers pas des consommateurs… Décidément, le bitcoin creuse un profond fossé culturel

Ces derniers temps, la tension monte insensiblement dans les institutions financières, confrontées de plus en plus fréquemment aux enjeux des cryptomonnaies et à une certaine demande de la part de leurs clients. Aux Pays-Bas, après une annonce similaire de la part d'ABN AMRO il y a quelques mois, Rabobank est la dernière en date à indiquer qu'elle met un terme à son projet de développement d'un porte-monnaie mobile dédié, invoquant les incertitudes réglementaires qui entourent ces instruments émergents.

Plus anecdotique, un scandale a éclaté récemment, d'abord dans les milieux spécialisés avant d'atteindre une audience plus large, quand un vétéran du bitcoin s'est plaint de la décision de sa banque, le Crédit Agricole Atlantique Vendée, de bloquer un transfert vers une plate-forme de change, sous prétexte de le protéger d'un investissement risqué. Les responsables de l'établissement expliquent avoir reçu des plaintes d'autres clients pour défaut de conseil et chercher, donc, à limiter leur responsabilité.

Pourtant, dans le même temps, et bien que le phénomène reste, à ce jour, marginal à l'échelle des flux financiers mondiaux, l'usage des cryptomonnaies continue à se propager dans la vie courante. Le géant des télécommunications américain AT&T vient, par exemple, de confirmer que, pour répondre aux attentes des adeptes toujours plus nombreux, il met désormais à la disposition de ses utilisateurs une option de paiement en ligne de leurs factures par bitcoin, grâce à la solution d'encaissement de BitPay.

Accueil Coinbits

Dans un registre différent, mais avec la même vision de la démocratisation de l'usage des cryptomonnaies, voici CoinBits, dont l'outil décline les meilleures recettes de l'industrie financière afin de familiariser madame ou monsieur tout-le-monde à une innovation potentiellement inquiétante. Comme Acorns le fait depuis longtemps avec l'investissement classique (pour les mêmes motifs), la jeune pousse propose ainsi de connecter une carte de crédit, de manière à déclencher automatiquement l'achat de quelques fractions de bitcoins avec les centimes d'arrondi de chaque dépense enregistrée.

Finalement, ce que nous racontent ces initiatives et autres péripéties est la solide progression de la popularité des cryptomonnaies dans l'esprit du grand public, en dépit des aléas qui les affectent (dont leur volatilité extrême, notamment). Pour une partie des acteurs, elle constitue une opportunité. Pour les banques traditionnelles, en revanche, elle représente une menace, non par la perspective de les rendre obsolètes mais en raison de leur incapacité à faire face à une disruption qui les contraint à remettre en cause leurs habitudes. En ce sens, il s'agit d'un test de leur adaptabilité au XXIème siècle…

vendredi 24 mai 2019

Cette banque qui crée une agence de voyages

Tinkoff
Pour les banques qui prennent conscience de la lente mais inévitable transition vers l'immersion de leurs produits et services dans les parcours de consommation de leurs clients, une option d'avenir consiste à s'inviter au sein de ces expériences étendues. Selon cette logique, la russe Tinkoff lance aujourd'hui sa propre agence de voyages…

La jeune pousse n'en est pas à sa première intrusion hors du secteur financier et son portail de réservation de billets d'avion et de train, d'hôtels, de tours organisés, de voitures de location… existait déjà depuis quelque temps. Ce qui change maintenant est qu'elle ne se contente plus d'agréger des produits de tiers en marque blanche et que, en se connectant directement aux GDS (les systèmes de réservations professionnels), elle affirme son intention de devenir un concurrent sérieux sur le marché du voyage.

Pour l'instant, Tinkoff Travel profite de sa nouvelle infrastructure exclusivement sur le transport aérien, proclamant offrir les prix les plus bas sur les grandes compagnies opérant dans le pays (Aeroflot, Oural Airlines, Georgian Airways, Turkish Airlines…) grâce à son choix de supprimer toutes les commissions. Bien que sa plate-forme soit ouverte à tous, elle réserve tout de même des conditions préférentielles à ses clients, notamment à travers un bonus (cashback) pouvant atteindre jusqu'à 10% des dépenses.

Tinkoff Travel

À l'instar des institutions financières qui proposent à leurs clients des boutiques en ligne, des sites d'annonces immobilières ou des comparateurs de fournisseurs de services utilitaires, Tinkoff considère que sa vocation future sera d'intégrer les produits bancaires au cœur des achats, des projets et des autres circonstances importantes de ses clients. Et plutôt que de se laisser reléguer à un rôle de prestataire invisible, elle estime avoir des atouts pour développer elle-même les écosystèmes de demain.

Ainsi, dans le domaine du tourisme, qui représente un des grands segments des loisirs et, donc, une opportunité attractive, la banque fait valoir, sans grande surprise, sa capacité à simplifier les étapes de paiement et de transmission des informations personnelles, à suggérer des solutions d'assurance adaptées… Elle envisage également, outre un accès depuis son application mobile, de rendre son assistant vocal Oleg capable de répondre aux questions relatives à son catalogue de voyagiste, pour en faciliter l'usage.

Comme souvent avec les initiatives de ce genre, il paraît extrêmement ambitieux de la part d'une banque d'espérer prendre une place dans un domaine où des spécialistes ont imposé leur présence depuis plusieurs années. Les avantages que Tinkoff met en avant afin de faire la différence risquent d'avoir peu de poids face à ces acteurs. Cependant, il faut reconnaître que l'alternative à cette diversification a de quoi donner le vertige aux institutions qui ne conçoivent pas leur métier sans relation directe avec leurs clients…

jeudi 23 mai 2019

Wagestream veut éradiquer l'endettement salarié

Wagestream
La tradition de versement mensuel des salaires – qui gagne aussi les pays anglo-saxons, autrefois habitués à une fréquence hebdomadaire – exerce un impact lourd sur les finances personnelles des employés, fréquemment contraints de recourir à des emprunts de courte durée ou à accumuler des découverts récurrents sur leur compte bancaire.

Parce que les technologies modernes facilitent aujourd'hui une plus grande fluidité des mouvements d'argent, un certain nombre d'acteurs – essentiellement des startups, mais aussi des grands groupes – ont commencé à proposer des réponses à ce gigantesque défi. Au Royaume-Uni, en attendant son extension (prévue) au reste du continent européen et aux États-Unis, Wagestream est un de ceux-là et il vient de boucler un tour de financement de 40 millions de livres sterling afin d'assurer son développement.

Sans surprise, le cœur du dispositif de la jeune pousse repose sur un principe, désormais relativement classique, d'avance sur salaire à la demande. Directement connectée au système de paye de l'entreprise et aux comptes bancaires de ses troupes, la plate-forme de Wagestream permet ainsi au collaborateur de demander à tout moment, depuis l'application mobile dédiée, le versement, par virement instantané, d'une partie de la rémunération qui lui est due, mais qu'il ne percevrait normalement qu'à la fin du mois.

Le responsable des ressources humaines est libre de fixer le pourcentage maximal de leur salaire mis à la disposition des employés (typiquement 40% du montant mensuel), mais la suite des opérations est entièrement transparente pour lui : c'est Wagestream qui prend en charge les paiements anticipés (pour lesquels 25 millions, sur le total des fonds levés, sont sous forme de dette), et les remboursements, naturellement.

Accueil Wagestream

Une première spécificité de la solution est son modèle économique. En effet, les seuls frais supportés par l'utilisateur final sont une ponction de 1,75 livres sur chaque transfert effectué vers son compte courant. Il n'est donc pas question de crédit et, vraisemblablement, l'objectif de la société est de convaincre les entreprises de la rétribuer pour son service, en valorisant les bénéfices que celui-ci amène sur leur attractivité lors du recrutement, la fidélité de leurs collaborateurs, leur engagement au travail (amélioré, de manière mesurable, une fois les tracas financiers du quotidien écartés)…

Une autre originalité de Wagestream est son inscription de l'avance sur salaire, qui n'est, finalement, qu'un remède tactique à un problème de fond, dans une logique plus vaste d'éducation financière. En particulier, outre qu'il intègre des modules pédagogiques, son outil est conçu non seulement pour faire face à des dépenses imprévues mais également pour inciter les utilisateurs à constituer une réserve de précaution, en versant dès les premiers jours du mois une portion de leurs revenus sur un compte d'épargne.

À une époque où de plus en plus d'organisations déclarent se préoccuper de la qualité de vie – voire du bonheur – au travail, voilà un exemple d'approche concrète qui pourrait aider les plus sincères d'entre elles à dépasser le stade des intentions et, surtout, à prendre en compte la réalité d'une part importante de leurs effectifs, souvent trop préoccupés par leurs difficultés personnelles, dont les finances représentent une des premières causes, pour être aussi efficaces et productifs qu'ils pourraient l'être.

mercredi 22 mai 2019

Quel avenir pour les banques européennes ?

A.T. Kearney
Il y eut d'abord une déclaration fracassante de Francisco González, à l'époque président exécutif de BBVA. Elle fut suivie quelques années plus tard d'un écho, propagé par Gartner. C'est maintenant au tour d'A.T. Kearney de sonner l'alarme… Les prédictions de disparition d'une partie des banques devraient-elles donc être prises au sérieux ?

Il est vrai que la projection du cabinet de conseil, basée sur les résultats annuels et autres documents officiels de 92 institutions financières européennes, peut, au premier abord, paraître moins pessimiste que les précédentes puisqu'elle estime que (seulement) une sur dix serait menacée par une fusion ou une acquisition à un horizon de 5 ans. Il faut cependant noter que le raisonnement adopté est principalement économique et que d'autres facteurs risquent de renforcer la tendance, surtout à plus long terme.

Les indicateurs étudiés ont effectivement de quoi inquiéter. Entre l'absence de progrès sur les coûts et l'efficacité opérationnelle – en dépit d'une immense vague de fermetures d'agences – et la pénétration croissante des néo-banques accompagnant la maturité des jeunes générations nativement « digitales » – les 15 millions de clients qu'elles ont conquis depuis 2011 pourraient devenir 85 millions en 2023 –, les acteurs historiques – qui en ont perdu 2 millions dans le même temps – sont en danger d'obsolescence.

En conséquence, les perspectives pour les prochaines années sont peu réjouissantes pour les banques traditionnelles. Les spécialistes d'A.T. Kearney les voient sortir de la période de stagnation actuelle des revenus pour passer à un déclin marqué. La pression de la réduction des charges, qu'un quart des établissements a des difficultés à contrôler, engendrera alors une phase de consolidation dans le secteur. En parallèle, les nouveaux entrants contribueront à accentuer la concurrence avec leurs modèles optimisés.

A.T. Kearney – European Retail Banking Radar 2019

À terme, 4 grandes catégories de banques devraient cohabiter. Les « géantes » représenteraient l'essentiel de la génération de survivantes de l'ère précédente, que la standardisation à outrance transformerait progressivement en usines à produits pour des tiers. Quelques-unes parviendraient à maintenir la différence grâce à leur excellence dans le conseil personnalisé. Viennent ensuite les « digitales », capables d'entretenir l'engagement de leurs clients par leur réactivité. Enfin, naîtra un concept de plate-forme de vie, intégrant les services financiers dans des expériences étendues.

L'étude se conclut avec 4 recommandations à suivre afin de préparer l'avenir. Or, à l'exception de l'indispensable ré-équilibrage des compétences qu'entraînera, entre autres, la condamnation d'une agence sur trois sur le continent, elles rejoignent précisément les défis que j'extrayais il y a quelques jours des réflexions d'Anne Boden sur les avantages des startups : la modernisation des systèmes cœurs, en vue de capitaliser sur les opportunités émergentes, la focalisation sur l'expérience client, en prenant en compte la diversité des cas particuliers, et l'impératif d'agilité dans tous les modes de travail.

mardi 21 mai 2019

Pour une autre approche de l'inclusion financière

FBF
Probablement inspirée par la crise des gilets jaunes, qui, d'une part, a déjà plus ou moins contraint les banques à assouplir leurs conditions commerciales et, d'autre part, continue à les considérer comme une cible privilégiée, la FBF publie un rapport montrant l'engagement de la profession en faveur des clientèles fragiles… et ses limites.

Quoi qu'on en pense et bien que leurs actions ne soient pas toujours aussi spontanées qu'elles voudraient le laisser croire, il faut reconnaître que les institutions financières françaises développent un certain nombre d'initiatives dédiées aux personnes en situation difficile. Droit au compte, offres spécifiques (OCF), plafonnement des frais d'incident, transparence des tarifs… sont autant de facteurs permettant de limiter les risques de dérive qui frappent les populations moins protégées d'autres pays.

Gardons-nous cependant de tout excès d'optimisme. En effet, la plupart des mesures mises en œuvre aujourd'hui ressortent seulement d'une logique de modération des impacts pour les victimes. Les programmes d'accompagnement pédagogique vers l'adoption de comportements vertueux en vue de sortir d'un état de crise, par exemple, sont beaucoup plus rares (et généralement confiés à des associations indépendantes). Quant à l'anticipation et la prévention, elle semblent largement oubliées du périmètre.

Ainsi, quand la banque confie les dossiers délicats à des experts de ce genre de cas, leur mission consiste plutôt à ramener le plus rapidement possible le client dans les clous (du point de vue de la banque) qu'à l'aider, dans la durée, à mieux maîtriser sa relation à l'argent et piloter son budget quotidien. Ou bien, quand elle évoque ces aspects, elle renvoie aux outils de suivi intégrés dans son application web ou mobile, notoirement insuffisants en ce qui concerne leur capacité à faire évoluer les habitudes.

Publication FBF : Banques & Publics Fragiles

Ce que nous observons là est le défaut typique des grands groupes, trop focalisés sur leurs produits et services, au détriment de la compréhension des besoins intimes de leurs clients et de la démarche de conseil personnalisé qu'ils sont en droit d'espérer, surtout dans des moments problématiques. Le sentiment d'abandon qui caractérise leur attitude est d'autant plus critiquable que les technologies, notamment d'analyse de données, leur procureraient des moyens d'affirmer leur soutien dans ces circonstances.

Imaginez donc une application capable de prédire le danger d'un découvert à la fin du mois (ou, mieux encore, dans 3 mois), d'alerter sur les conséquences d'un accident de la vie en l'absence d'une épargne de précaution, d'illustrer l'influence d'un projet ambitieux sur les dépenses du quotidien… et, simultanément, de proposer des plans d'action concrets et pragmatiques qui aident à surmonter ces difficultés et à réaliser ses rêves… Voilà ce que les consommateurs devraient pouvoir attendre de leur banque !

Au-delà des quelques initiatives que souligne le document de la FBF, les clients fragiles ne sont souvent pas pris sérieusement en considération car ils sont perçus comme peu rentables. C'est oublier un peu vite que les problèmes d'argent touchent toutes les catégories de population, y compris parmi les plus aisées, et que les solutions qui peuvent leur être offertes sont non seulement de puissants vecteurs de fidélisation mais, également, contribueront directement aux revenus, une fois la situation stabilisée.

lundi 20 mai 2019

Pourquoi les startups conserveront leur avance

Starling Bank
Au cours d'une récente interview pour le quotidien britannique Evening Standard, Anne Boden, fondatrice de Starling Bank, explique pourquoi, selon elle, les startups de la finance conserveront une avance durable sur les banques traditionnelles. Encore n'aborde-t-elle qu'un des nombreux arguments qu'il est permis d'invoquer dans ce débat.

Les trois décennies qu'elle a passées au sein de plusieurs institutions financières, notamment dans leurs départements informatiques, avant de créer Starling en 2014, lui donnent une certaine crédibilité quand elle affirme que leurs systèmes existants sont dépassés et, de plus en plus, impossibles à remplacer. Dans ces conditions, elles peuvent parvenir, tant bien que mal, à répliquer les innovations de la FinTech, avec quelques années de retard, mais sans jamais atteindre leur efficacité économique.

Le point est effectivement d'autant plus valide que la plupart des banques, encombrées d'une infrastructure technologique monolithique ancienne, veulent croire que, tant que celle-ci fonctionne, elle ne représente pas un handicap pour leur transformation et qu'il n'est donc pas nécessaire de la remplacer. Or elle constitue bien un obstacle majeur, sinon à l'innovation elle-même, du moins à la capacité de l'entreprise à développer rapidement et exploiter de nouveaux produits et services à des coûts raisonnables.

Cependant, le socle informatique n'est pas la seule et unique raison pour laquelle la banque se trouve fréquemment en position de faiblesse quand il s'agit de concevoir des solutions pour demain. D'autres éléments structurels des organisations historiques, aussi importants (sinon plus), subissent le même phénomène d'obsolescence délétère et seront extrêmement difficiles à renverser tant ils sont ancrés dans leur culture.

Anne Boden au Paris FinTech Forum 2018

Tel est le cas, par exemple, des modèles et des cycles de décision. Bien que tous les grands groupes se vantent désormais d'adopter des méthodes agiles, celles-ci ne concernent que des projets parfaitement délimités et encadrés. En pratique, tant que la validation d'un choix stratégique dépendra d'une longue chaîne hiérarchique, qui, en outre, prend des semaines ou des mois à être activée, la réactivité, la flexibilité et l'accélération rêvées resteront des illusions impossibles à concrétiser.

Il en est de même de l'approche de leur métier par les institutions financières. Là aussi, elles se prétendent facilement « centrées sur le client », focalisées sur leurs attentes, attentives à l'évolution de leurs comportements et de leurs préférences… Hélas, ce n'est, en général, qu'un slogan sans substance. Il suffit d'observer quelques annonces tonitruantes des derniers mois pour réaliser qu'elles continuent en fait à promouvoir d'abord des produits, sans véritablement s'intéresser aux besoins des utilisateurs.

Bien sûr, toutes les jeunes pousses qui se lancent avec une idée disruptive ne réussissent pas à éviter l'ensemble de ces pièges, qui les guettent également. En revanche, celles qui gardent le cap, à l'instar de Starling Bank, ont bien peu de motifs de craindre que les « vieilles » banques possèdent la moindre chance de reprendre un jour l'avantage dans la course à l'innovation, quand bien même elles semblent copier leurs recettes (ou bien tentent des démarches de collaboration et/ou d'acquisition pour gagner du temps).

dimanche 19 mai 2019

De la banque mobile au conseil automatisé

ING
Voilà encore une de ces collisions d'actualité comme je les aime. Quelques jours après le lancement par sa filiale française d'une campagne promouvant la relation avec un conseiller humain, ING présente les résultats d'une enquête [PDF] internationale qui révèle que les services bancaires autonomes progressent inexorablement.

Interrogées sur leur perception et leurs usages des technologies dans leur vie financière, les quelques 13 000 personnes consultées dans 13 pays européens (dont la France) signalent que le recours aux applications mobiles mises à leurs disposition par leurs fournisseurs est désormais ancré dans leur quotidien. Ils sont en effet près de 70% à avoir intégré cette pratique, notamment pour vérifier leur solde de compte, émettre des virements, régler des factures…, alors qu'ils étaient moins de 40% il y a 5 ans.

Quand l'étude aborde le conseil automatisé, en revanche, ses opposants – tous ceux qui, en particulier dans les banques traditionnelles, estiment que le dialogue avec un expert en chair et en os ne disparaîtra jamais – trouveront des arguments pour se rassurer. Plus de 6 répondants sur 10 expriment par exemple leur réticence à confier entièrement leurs décisions d'investissement à un robot et, plus largement, environ 2 sur 3 indiquaient dans un sondage antérieur refuser qu'un ordinateur intervienne pour leur compte.

Pourtant… une autre question permet d'affiner la compréhension de cette méfiance. Ainsi, 38% des consommateurs déclarent qu'ils apprécieraient une solution qui analyserait leurs habitudes de dépenses et leur fournirait, en conséquence, des recommandations personnalisées afin d'améliorer leur situation. L'attitude d'une partie significative des réfractaires à la technologie ne tient donc pas d'un rejet total, mais plutôt d'un manque de confiance dans sa performance, qui les conduit à vouloir conserver le contrôle.

Enquête ING sur la banque mobile

Si elles sont encourageantes pour ceux qui, comme moi, croient que l'avenir est à l'automatisation quasi généralisée, ces statistiques peuvent aussi donner l'impression que la tendance reste modérée. Cependant, les analystes d'ING soulignent, fort justement, que l'évolution des comportements prend du temps. L'adoption de la banque mobile a montré qu'il fallait plusieurs années pour que l'innovation s'impose auprès du grand public et le conseil robotisé n'échappera évidemment pas au même cycle de développement.

Un dernier enseignement qu'offre l'enquête est l'indifférence des utilisateurs vis-à-vis du média qu'ils choisissent pour interagir avec leurs comptes, plaçant la priorité sur l'accessibilité du service au moment où il est requis. Il aurait été intéressant d'inclure les canaux non numériques dans le périmètre de cette interrogation. Car le passage par une agence ou par un centre d'appel, dans le but d'avoir une conversation avec une personne, est rarement le plus pratique dans nombre de circonstances. Avec des alternatives adaptées, ce pourrait être un facteur additionnel de changement des habitudes.

En synthèse, s'il est clair qu'il n'y a pas à ce stade de bascule décisive des consommateurs vers une approche de conseiller virtuel, un profond mouvement de transition est visiblement engagé. Il se concrétise dès maintenant par l'acceptation des agents intelligents capables de suggérer des actions. Au fil de leur utilisation, ils sauront prouver leur fiabilité, incitant progressivement les clients à leur laisser prendre l'initiative. À terme, peut-être lointain, ils pourront devenir le mode privilégié de la relation bancaire.

samedi 18 mai 2019

Promesse et réalité de la « téléportation » selon BNP Paribas

BNP Paribas
C'était la sensation de ce 17 mai à VivaTech : après les premières démonstrations en 2018, suivies d'une année de mise au point et d'expérimentation, BNP Paribas Real Estate annonçait le lancement en production de sa solution de collaboration en « téléportation ». Derrière la promesse futuriste, à quoi faut-il s'attendre concrètement ?

Avec un partenaire tel que Magic Leap – tellement habitué, depuis sa naissance en 2010, à faire fantasmer avec ses concepts de réalité augmentée avancée (qu'il intitule désormais informatique spatiale afin de marquer sa différence) – il vaut mieux, en effet, faire la part des choses entre le rêve et la réalité. Côté vision, en l'occurrence, l'application de sa technologie dans le domaine de l'immobilier constitue certainement une idée judicieuse, ouvrant des opportunités extraordinaires dans plusieurs directions.

Imaginez donc, avec Omar Khan, le responsable produit de Magic Leap, comment l'élaboration d'un projet architectural, qu'il concerne un bâtiment ou un quartier entier, s'inscrit dans une perspective beaucoup plus tangible quand les plans prennent forme (vie ?) au sein de leur futur environnement, quand les parties prenantes interagissent directement avec ses composantes, quand les clients visitent en immersion totale la propriété qu'ils envisagent d'acquérir, avant que la première pierre n'en soit posée…

Présentation de la réunion en téléportation par BNP Paribas à VivaTech 2019

Il faut toutefois tempérer l'enthousiasme car l'implémentation de BNP Paribas Real Estate n'atteint pas encore ce niveau et, en particulier, l'incrustation de constructions virtuelles grandeur nature dans le monde réel devra attendre. La première version de la plate-forme que déploie l'entreprise aujourd'hui, développée avec la société Mimesys (acquise depuis par Magic Leap), permet seulement d'organiser des réunions présentielles avec des participants répartis entre Hong Kong, Dubaï, Londres, Francfort et Paris.

Dans une logique de découverte pas à pas du potentiel de l'informatique spatiale, une telle approche peut paraître utile. Pourtant, outre une incertitude sur la capacité à manipuler des maquettes virtuelles à plusieurs (qui exigerait d'importants moyens de modélisation dynamique), l'expérience souffre à ce jour d'un handicap majeur, puisque chaque invité doit porter des lunettes spéciales (plus gênantes que celles de la vidéo ci-dessous) qui nuisent à l'établissement du contact visuel essentiel à des échanges de qualité, ce que la « vieille » téléprésence de haut de gamme gère parfaitement.

Le risque est de générer une déception parmi les utilisateurs pionniers, alors que leur adhésion sans réserve est absolument indispensable pour espérer généraliser l'adoption. La difficulté est classique pour toutes les solutions de rupture : le choix du cas d'usage initial requiert un délicat équilibre entre faisabilité dans des conditions raisonnables (de coût, entre autres) pour la validation d'un concept et ambition suffisamment élevée pour apporter une valeur ajoutée incontestable et, ainsi, susciter l'engouement.

vendredi 17 mai 2019

Segmentation ou ultra-personnalisation ?

Gartner
La personnalisation des services ou, pour le cas qui nous intéressera ici, du marketing est aujourd'hui engagée dans une course vers un idéal qui permettrait de cibler spécifiquement les besoins de chaque individu. Pourtant, le cabinet Gartner nous dit qu'il s'agit d'une illusion et qu'une segmentation performante est suffisante. Quelle voie suivre ?

Au premier abord, le raisonnement que tient l'analyste, Jennifer Polk, fait sens. S'il est aisément envisageable pour une boutique qui sert 10 clients d'adapter son approche à chaque situation particulière, la même logique est inapplicable à une entreprise qui aurait des milliers, voire des millions, de profils distincts à satisfaire. L'effort à déployer pour identifier et exploiter les caractéristiques de chacun serait en effet sans commune mesure avec le bénéfice à en espérer, en terme de ventes, d'engagement, de fidélité…

A contrario, sélectionner les quelques grands critères de catégorisation qui s'avèrent déterminants lors d'un achat donnerait les résultats attendus, sans qu'il soit nécessaire que la proposition émise soit unique pour chaque destinataire. Jennifer cite le cas de sa ville de résidence, Chicago, en expliquant qu'une simple localisation du consommateur doit inciter une marque de vêtements à promouvoir des pull-overs plutôt que des maillots de bain, surtout en hiver. Et les 2,7 millions d'habitants de la ville ont la même attente.

En réalité, pas tout à fait. Car il faut également prendre en compte d'autres axes de segmentation : en prolongeant l'illustration précédente, ce seront par exemple l'âge, le sexe, le niveau de vie, ainsi que les styles, les griffes, les couleurs préférées… qui sont certainement tous très importants à l'heure du choix d'un pull-over. Mais que se passe-t-il alors ? Il faut maintenant croiser une kyrielle d'attributs pour porter le message le plus pertinent, et les combinaisons se multiplient… jusqu'à l'ultra-personnalisation.

Bien sûr, on pourra arguer qu'il est toujours possible de restreindre le nombre de critères retenus, en écartant les moins discriminants et donc en limitant l'impact sur la qualité de l'approche. Mais pourquoi faudrait-il se contraindre ? Les technologies modernes – notamment dans les domaines de l'apprentissage automatique et de l'intelligence artificielle – sont à même de faciliter l'intégration d'immenses volumes de données, de natures variées, dans les modèles de personnalisation. En vérité, le coût de l'individualisation des expériences n'est pas si élevé qu'il soit nécessaire de s'en passer…

Pommes et différences

jeudi 16 mai 2019

Chez Shine, les CGU sont compréhensibles !

Shine
Tout le monde le sait, la transparence devient aujourd'hui un enjeu prioritaire pour les institutions financières et elle est, encore plus, un facteur critique de la confiance que les clients sont prêts à accorder à un nouvel entrant. Fréquemment mise en avant sur la tarification, elle est tout aussi importante sur les informations contractuelles.

Il y a tout juste un an, c'était le trublion américain de l'assurance Lemonade qui s'attaquait à ce gigantesque problème, en créant – sous licence libre – une police d'un nouveau genre, non seulement compréhensible par le commun des mortels mais également réduite à deux pages. Sans aller aussi loin, Shine, la néo-banque hexagonale pour les professionnels, dévoilait cette semaine ses conditions générales d'utilisation (CGU) « en clair », conçues dans le même objectif de lisibilité… et de respect des utilisateurs.

En pratique, la startup ne cherche pas (pour l'instant ?) à remettre en cause les standards en vigueur dans le secteur, ce qui demanderait certainement un effort de lobbying considérable auprès des régulateurs. Le texte qui régit sa relation commerciale avec ses clients est donc toujours aussi dense et complexe. En revanche, chaque clause se conclut par un court encart, titré « en clair », destiné à l'expliquer de manière simple et accessible, sous une forme résumée en quelques lignes (2 ou 3 en général).

Au final, les 23 articles principaux des conditions générales se trouvent ainsi synthétisés en quelques 80 lignes, qui permettent à toute personne ouvrant un compte de connaître exactement la nature de l'engagement qu'elle prend. Il faut néanmoins signaler une petite réserve : les services de paiement de Shine étant fournis par un établissement tiers (Treezor), les conditions spécifiques de ce dernier, qui s'appliquent également et représentent plus de la moitié du contrat global, ne bénéficient pas d'une « traduction ».

CGU de Shine

L'initiative part d'un constat que pourraient faire tous les fournisseurs de services de la terre. En effet, demander à des individus de lire et valider 96 pages de jargon juridique avant de les autoriser à utiliser une plate-forme est aussi ridicule que contre-productif. Tout le monde sait que presque personne n'accomplit l'effort demandé, ce qui en fait une formalité totalement vide de sens, tandis que les victimes de ces pratiques ont souvent l'impression que l'entreprise cherche à les tromper avec ces documents absurdes.

Le respect du client – partie intégrante de l'obsession du client qui doit prévaloir au XXIème siècle – exige une autre attitude, matérialisant effectivement un accord mutuel et resserrant, de fait, les liens entre les deux parties, plutôt que de transformer le contrat écrit en une sorte de passage obligé – perçu comme une friction bureaucratique inutile – d'un parcours de souscription. Les nouveaux entrants sont naturellement les plus intéressés à lever ces freins (afin de conquérir la confiance qui leur fait défaut à leurs débuts, notamment), mais l'enjeu concerne en réalité l'ensemble du secteur financier.

mercredi 15 mai 2019

Nationwide investit dans l'IA comportementale

Nationwide
La jeune pousse canadienne Scaled Insights considère que les techniques usuelles d'analyse de données, même les plus avancées, atteignent des limites dans leur capacité à prédire le comportement futur d'une personne, faute de prendre en compte ses motivations. Elle propose donc une solution destinée à combler cette lacune.

L'exemple que donne la société pour expliquer sa proposition de valeur est éclairant. Imaginez que vous ayez deux clients aux profils identiques, d'hommes de 70 ans, millionnaires, ayant des enfants adultes. Avec une approche de profilage traditionnel, une entreprise va leur offrir le même service. Pourtant, si l'un est le prince Charles et l'autre Ozzy Osbourne, vous comprenez instantanément qu'ils ont probablement des attentes extrêmement différentes et qu'ils méritent un traitement adapté à leur personnalité.

L'approche que développe Scaled Insights afin de mieux répondre aux besoins de chaque individu consiste donc à identifier ses motivations profondes, qui vont éclairer son comportement passé et permettre d'affiner les hypothèses qu'elle formule pour l'avenir. Pour ce faire, elle a mis au point un modèle d'analyse (à base d'intelligence artificielle, naturellement) qui exploite plus d'une centaine de caractéristiques extraites de la manière de s'exprimer du sujet, un peu comme on le fait tous plus ou moins consciemment lorsqu'on se fait une image mentale d'un interlocuteur en l'écoutant parler.

Plus concrètement et plus précisément, la startup cherche à déterminer et étalonner, grâce à ses algorithmes, 5 grands attributs de caractère ainsi que le style de pensée de chaque utilisateur. Ces paramètres, déterminants pour appréhender comment il perçoit le monde, comment il reçoit et gère l'information qui lui est transmise, peuvent alors être mis à profit pour sélectionner les meilleures options dans la mise en forme et l'émission d'une recommandation dont les chances qu'elle soit acceptée et suivie sont maximisées.

Accueil Scaled Insights

Le principe a déjà été adopté par le NHS (National Health Service), équivalent britannique de notre sécurité sociale, dans le cadre de la lutte contre l'obésité. Dans cet exemple, ce sont les suggestions de traitement qui sont adaptées au profil des patients. En outre, le système apprend au fil des interactions engagées et les enseignements tirés de cette expérience continue servent également à accompagner les médecins dans le choix des approches thérapeutiques les plus appropriées dans chaque circonstance.

Le concept est facile à décliner dans le secteur financier : il suffit d'imaginer les innombrables occasions dans lesquelles une décision relative à l'argent est influencée par des mécanismes psychologiques intimes pour comprendre les opportunités qui s'ouvrent, entre conseil qui devient immédiatement beaucoup plus convaincant parce qu'il joue sur les ressorts spécifiques de chaque client et encouragements ciblés à adopter des comportements plus sains… Voilà pourquoi Nationwide investit dans Scaled Insights tout en réfléchissant aux possibilités d'intégration de sa solution dans ses métiers…

mardi 14 mai 2019

Un bilan de l'intrapreneuriat à Société Générale

Société Générale
En amont de l'ouverture de VivaTech, à laquelle elle participera pour la première fois, Société Générale nous proposait ce matin un point (d'étape ?) sur sa démarche d'intrapreneuriat. Celle-ci vient en quelque sorte compléter une trilogie sur l'innovation, entamée avec les échos de Finovate puis prolongée par les hésitations du « digital ».

Dès le rappel des objectifs de l'« Internet Startup Call » par Frédéric Oudéa, directeur général de la banque rouge et noire, on pouvait percevoir une certaine remise en perspective des priorités. En effet, même s'il est toujours question de transformation de rupture, il insistait beaucoup plus sur le besoin pour une « vieille » institution de mieux répondre aux attentes des clients par des améliorations nécessaires dans les lignes métier et par une indispensable révolution culturelle parmi les collaborateurs.

Très rapidement dans la présentation, il ressort que, pour l'essentiel, la valeur que retire Société Générale de la création de « startups » internes est avant tout l'accélération de l'innovation et la recherche d'efficacité opérationnelle (par exemple pour réduire les coûts des services aux clients) qu'autorise cette approche, grâce, entre autres, à l'adoption de méthodologies radicalement différentes de celles que continuent souvent à mettre en œuvre les grands groupes, avec leurs projets pluri-annuels menés « en tunnel ».

Naturellement, une telle vision introduit un prisme de sélection particulier sur les idées retenues. Ainsi, ce sont principalement des solutions destinées à compléter ou optimiser les dispositifs existants qui séduisent et survivent à l'épreuve du temps. D'ailleurs, sur les 60 « startups » effectivement constituées en 2018, 22 ont été ré-intégrées dans les structures de la banque et celles qui pourraient s'ouvrir vers l'extérieur ont en général un produit (plutôt technique) d'usage interne, susceptible d'intéresser d'autres entreprises.

Frédéric Oudéa

Autre manifestation de ce biais de filtrage, les quelques exemples qui nous sont donnés de projets ayant été interrompus (24 sont dans ce cas, au total) illustrent comment des concepts un peu décalés par rapport à l'activité classique de Société Générale – l'un consistait en un outil d'optimisation du choix de fournisseur d'électricité, de téléphone… et l'autre visait à créer une néo-banque collaborative et solidaire – se sont trouvés écartés parce que difficiles à inscrire dans les feuilles de route des entités concernées…

En réalité, il n'est rien de surprenant à ces résultats, entre la propension des salariés à ne pas remettre profondément en cause les modèles dans lesquels ils sont immergés (contrepartie de leur connaissance des enjeux) et la difficulté universelle à rapidement déployer des nouveautés disruptives dans un grand groupe. Cela ne retire rien à la valeur de l'initiative, une fois admis que l'ambition est de faire évoluer la culture de l'organisation et que, tout de même, elle va stimuler avant tout une innovation incrémentale.

En revanche, l'orientation qu'esquisse Société Générale, de développer en interne, avec des processus efficaces, des solutions lui permettant de répondre de manière réactive aux attentes de ses clients sera une mauvaise nouvelle pour les startups (externes) qui, de plus en plus fréquemment, se positionnent sur le même créneau. Si la tendance se généralise, elles se verront reléguées à la fourniture d'outils non stratégiques et elles auront du mal à se démarquer. Vivement, donc, le retour de la FinTech disruptive !

lundi 13 mai 2019

Belfast crée un porte-monnaie virtuel citoyen

Belfast City Council
Il n'est désormais plus rare de rencontrer, dans le monde entier, des collectivités locales qui créent leur propre monnaie virtuelle afin de développer l'économie de proximité. La ville de Belfast, en Irlande du Nord, les rejoindra bientôt, à travers une approche originale, plus accessible et plus inclusive, et qui vise un objectif plus ambitieux.

Dans le dispositif proposé, actuellement en recherche de partenaires (commerces, associations, artisans…) pour le rendre attractif dès son lancement, plus tard dans l'année, le Belfast Coin n'est, en quelque sorte, que la partie émergée de l'iceberg. En effet, il s'agit simplement d'une unité de compte, directement adossée à la livre sterling, qui sera distribuée aux citoyens en récompense de leurs comportements civiques, et qu'ils pourront utiliser comme moyen de paiement dans les entreprises participantes.

En amont, la municipalité mettra à la disposition des résidents une application mobile, conçue avec le spécialiste anglo-israélien des monnaies locales Colu (déjà connu pour sa contribution à la livre de Liverpool), qui sera donc simultanément un porte-monnaie virtuel, un outil de suivi des actions positives pour l'environnement, la responsabilité sociale, l'économie, la santé… et une plate-forme de gestion de primes, qui fonctionne un peu comme un programme de fidélité classique d'une grande marque de distribution.

Belfast Coin

Le volet paiement de la solution est résolument conventionnel, puisque l'utilisateur est d'abord invité à introduire les informations de sa carte bancaire, de manière à alimenter (à sa guise) un compte prépayé en livres. En parallèle, il dispose également d'un second compte, libellé, celui-ci, en Belfast Coin, destiné à recevoir les gratifications qu'il collecte. À l'occasion d'un achat, l'application permet de sélectionner celui des deux depuis lequel s'effectue le règlement, leurs devises étant rigoureusement équivalentes.

Chaque dépense ainsi réalisée, obligatoirement dans le périmètre de la ville, seul lieu d'acceptation prévu du moyen de paiement, pourra donner lieu à l'octroi d'une récompense. Et il en sera de même pour les activités – marchandes ou non – signalées au sein de l'application, qui couvriront des domaines aussi variés qu'une séance dans une salle de sport, le recours aux transports en commun pour les déplacements de proximité, une pause café en dehors des heures de pointe, une donation à une bibliothèque…

En évitant de demander à ses citoyens de convertir leurs précieuses livres sterling en une unité « exotique » avant toute utilisation, la municipalité de Belfast élimine un frein probable à l'adoption des monnaies locales. Son modèle s'avère de la sorte suffisamment similaire aux standards du commerce de détail pour être rassurant. Ce faisant elle garde en stricte ligne de mire son ambition première, qui est de favoriser le développement harmonieux de la commune (et certainement pas d'imposer une devise virtuelle).

dimanche 12 mai 2019

L'étrange régression des services financiers

Simple
En même temps que le ralentissement généralisé de l'innovation que j'évoquais hier, le secteur financier semble être victime ces derniers temps d'un étrange et inquiétant phénomène de régression qui voit les pionniers du « digital » redonner un coup de jeunesse aux paiements en espèces, aux chèques ou encore aux conseillers humains…

En effet, n'y a-t-il pas de quoi être surpris quand, en l'espace de quelques jours, Amazon annonce que sa première supérette Amazon Go à New York sera équipée d'une caisse traditionnelle, acceptant les règlements en cash ? Ou quand Google dévoile la possibilité de payer les achats réalisés sur son Android Market auprès de l'épicier du coin ? Ou quand une des premières néo-banques américaines, Simple, propose désormais un chéquier à ses clients ? Ou encore quand ING en France vante le contact humain ?

Que disent donc ces initiatives ? À écouter les discours officiels, il faudrait croire que ces entreprises, qui ne juraient jusqu'à maintenant que par le numérique, prennent soudain conscience de l'existence d'une population qui n'est pas prête pour les usages technologiques qu'elles ont développés. À moins qu'elles ne soient prises d'un désir d'élargir leur champ d'action à ces personnes « oubliées ». Mais je crains qu'il ne s'agisse en fait d'une réaction expéditive face à un problème mal appréhendé.

Plus précisément, Amazon est contraint par une législation qui, dans certains états, impose aux commerces d'accepter les espèces, par crainte d'exclusion d'une partie des consommateurs. Google, de son côté, ne paraît pas soumis à ces mêmes exigences, faute de présence physique, mais il lui faut impérativement faciliter les paiements sur mobile afin d'atteindre une performance équivalente à celle de l'AppStore d'Apple, sur un segment de clientèle qui, pour partie, privilégie des téléphones bon marché.

Un chéquier pour Simple

Du côté d'ING, la campagne marketing qui appuie son « nouveau » positionnement tente de valoriser le conseil que rien n'est censé mieux apporter qu'un échange (téléphonique) avec un professionnel. Pourtant, quand on réalise que, en moyenne, chaque collaborateur aurait potentiellement à gérer 4 000 clients, il faut déchanter : la personnalisation de la relation n'est qu'un prétexte. Enfin, le cas de Simple est le seul qui soit candide : la faculté de commander un chéquier répond à la demande des utilisateurs.

Car là réside bien le nœud de ce retour vers la préhistoire. Qu'elles soient explicites ou non, ce sont les exigences des consommateurs qui guident ces évolutions : le besoin de prendre en compte la masse de citoyens non bancarisés, pour le régulateur qui « gêne » Amazon ou pour Google, les réclamations directes de chéquiers ou d'explications sur des opérations importantes chez Simple ou ING… Or il faut admettre que, dans la plupart des cas, ces doléances sont légitimes et méritent d'être traitées.

Cependant, il serait triste de s'en tenir à un raisonnement aussi trivial. Comme avec tout besoin à combler, il est indispensable d'approfondir l'analyse pour être certain de fournir une réponse optimale et non juste tactique. En l'occurrence, il ne faut pas creuser longtemps pour identifier la racine des frustrations qui s'expriment, entre l'échec des instruments de paiement modernes à supplanter définitivement leurs ancêtres et la complexité persistante des offres bancaires du point de vue du commun des mortels.

Alors, en parallèle – sinon en substitution – d'initiatives rétrogrades qui ne sont que palliatives, ne serait-il pas temps de se pencher sur les vrais difficultés qui handicapent l'accès aux services financiers et d'explorer des solutions permanentes pour les lever ? Il est bien des domaines et, surtout, des régions dans lesquels l'inclusion financière par la technologie fonctionne (en Chine et en Afrique, notamment, pour les paiements). Les leçons apprises là-bas montrent bien qu'il n'y a rien d'impossible à cette vision.

samedi 11 mai 2019

L'innovation en berne

Finovate
J'ai, depuis quelques mois, la sourde impression que le bouillonnement d'innovation qui agitait le secteur financier depuis une dizaine d'années tend à s'essouffler. Le panel de startups invitées à l'édition 2019 de la conférence Finovate Spring, qui vient de se terminer, apporte peut-être une confirmation, ainsi qu'une explication, à ce phénomène.

Certes, je n'étais pas à San Francisco pour prendre le pouls de l'événement en direct et celui-ci n'est probablement plus aussi représentatif de l'écosystème qu'il le fut un jour. Pour autant, les séances de démonstrations qui sont sa marque de fabrique reflètent une mutation universelle : au moins 90% des plus de 60 présentations ayant défilé sur scène durant 2 jours concernaient des solutions technologiques destinées aux institutions financières, laissant la part congrue aux acteurs désireux de rompre le statu quo.

Insensiblement, ce qu'on nomme aujourd'hui FinTech et qui est toujours censé représenter le cœur de l'innovation dans l'univers de la banque a donc glissé d'une vision, souvent idéaliste, composée de trublions cherchant à imposer des modèles – économiques, opérationnels, de distribution, d'interaction… – radicalement différents de ceux en vigueur vers une approche beaucoup plus sage et tristement banale de fourniture de logiciels destinés à améliorer l'efficacité des processus existants.

Malheureusement, le mouvement prend une forme de spirale infernale prête à étouffer l'innovation, entre, d'une part, investisseurs et entrepreneurs convergeant ensemble vers le développement des produits paraissant les plus prometteurs pour une rentabilité élevée et rapide et, d'autre part, des clients bancaires historiquement frileux qui voient leur position et leurs convictions renforcées – derrière des illusions de transformation – par la prolifération de jeunes pousses qui les sollicitent quotidiennement.

À l'extrême, la conjugaison des forces contraires arrivera progressivement à éteindre totalement, autant dans les startups que dans les institutions financières, l'audace indispensable pour concevoir les métiers et les services du monde « digital ». Même si d'autres facteurs entrent en jeu dans ce cas, la publication des résultats du premier trimestre de BPCE en donne un exemple caricatural, quand elle expose simultanément l'abandon de Fidor (l'innovation !) et l'investissement dans Oney (la tradition !).

Il serait dangereux de persister dans un tel immobilisme, en essayant de se convaincre que l'essentiel de la transformation a été accompli. Car des concurrents d'une tout autre trempe sont en embuscade : les géants technologiques américains, qui ne ressentent pas nécessairement le besoin de prendre pied dans un marché complexe mais qui n'hésitent pas à le faire quand l'enjeu est de répondre aux attentes de leurs utilisateurs, et les stars chinoises qui finiront par vouloir sortir de leurs frontières.

Finovate Spring 2019