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mercredi 4 juin 2025

Dépenser pour épargner, avec Garance

Garance
Lancé il y a quelques semaines par le jeune groupe mutualiste Garance, son nouveau produit Cagn'Up tente actuellement de gagner le cœur des parisiens à travers une campagne d'affichage dans le métro. Son concept n'est pas inédit et il ne semble pas avoir séduit massivement jusqu'à maintenant. Cette incarnation fera-t-elle mieux ?

Le principe consiste à proposer aux consommateurs de recevoir des réductions – sous forme de cashback – sur leurs achats de la vie quotidienne – parmi les partenaires affichés figurent des enseignes populaires telles que Monoprix, Carrefour, Spotify, FNAC, Ikea, Airbnb… – et de transférer automatiquement la cagnotte ainsi constituée vers un plan d'épargne retraite ou une assurance-vie, au choix, sans frais, de souscription ou autre, dès que son total franchit le seuil de 50 euros.

L'approche est en ligne avec l'évolution stratégique de l'entreprise qui, depuis quelques années, cherche à convertir son métier de la prévoyance aux nouveaux comportements et attentes de la population. En l'occurrence, un des objectifs visés, mis en avant dans la communication, porte sur la sensibilisation des personnes qui n'ont pas encore les « bons » réflexes, notamment parmi les jeunes, à l'importance de commencer tôt à mettre de l'argent de côté, même de petites sommes, pour réaliser leurs projets.

Une deuxième perspective pédagogique intervient ensuite, via les supports retenus. Outre qu'ils bénéficient d'une fiscalité avantageuse qui reste méconnue par un grand nombre de français, Garance s'attache à simplifier au maximum leur accès à l'investissement, par exemple en réduisant les options disponibles, ce qui devrait avoir pour effet (positif) de rendre les démarches moins intimidantes pour les néophytes.

Garance – Cagn'Up

Le dispositif n'est pourtant pas sans défauts. Le premier concerne justement ces aspects éducatifs, mis à mal par l'obligation pour l'utilisateur de disposer au préalable d'un compte éligible à associer à Cagn'Up (celui qui recueillera les réserves accumulées). Dans une logique de découverte de l'épargne, il serait beaucoup plus judicieux de permettre la souscription durant le processus d'enregistrement.

Un autre point concerne le modèle opérationnel, puisque, afin de bénéficier des récompenses sur les dépenses, il faut d'abord acheter des cartes prépayées de la marque de chaque partenaire, seules celles-ci ouvrant droit à un versement. Avec les frictions qu'il ajoute dans l'expérience client (étape supplémentaire, dispersion budgétaire…), ce mécanisme risque de constituer un obstacle mortel au succès.

Comme je l'évoquais en introduction, Cagn'Up reprend une idée ancienne, implémentée entre autres (dans l'hexagone) par Groupama, en 2019 (avec des niveaux de friction différents). Je constate que l'application HUG n'a pas évolué depuis 2020 et que plus généralement, elle semble abandonnée. Je ne suis pas certain que les quelques variations apportées par Garance suffisent cette fois à transformer l'essai. Aussi j'estime qu'il faudra impérativement itérer sur cette version initiale pour espérer réussir.

mardi 3 juin 2025

L'IA comme nouvelle interface utilisateur ?

IA
Elle est parfois formulée autrement – l'IA remplacera-t-elle le smartphone ? – mais la question qui revient régulièrement ces derniers temps suggère qu'une révolution serait en marche, avec l'intelligence artificielle en tornade prête à balayer tout ce que nous connaissons aujourd'hui. L'histoire nous invite pourtant à tempérer ces ardeurs.

Comme le souligne l'article (équilibré) de ComputerWorld qui me sert de prétexte à ces réflexions (et dont j'emprunte le titre), les premières tentatives d'appareils personnels pilotés par l'IA, par exemple l'AI Pin de Humane, ont conduit à des naufrages retentissants qui peuvent instiller le doute. Mais il faut prendre du recul pour comprendre les erreurs commises par ces pionniers et, surtout, pour imaginer comment un nouveau mode d'interaction avec la technologie prend naissance et se développe.

Il n'est pas nécessaire de chercher bien loin une référence : il suffit de se souvenir de l'arrivée de l'iPhone après quelques générations d'outils combinant les capacités d'un téléphone et d'un (petit) ordinateur. Tout le monde l'admet désormais, ce n'est pas l'assemblage de composants électroniques (similaire à ce que faisait la concurrence auparavant) qui l'a mené au succès mais la manière dont ce gadget était mis au service des besoins (potentiels) d'un utilisateur dans une expérience inédite et gratifiante.

Il en sera de même avec l'intelligence artificielle, notamment agentique. En soi, celle-ci ne produira aucune transformation des comportements (sauf pour une frange d'inconditionnels) tant qu'elle ne sera pas mise en scène dans une solution globale attractive qui prend en compte les attentes et les exigences de son audience cible. Et, en la matière, la barre à franchir (dont l'étalon en 2025 est le smartphone et son écosystème logiciel) est maintenant placée plus haut qu'elle ne l'a jamais été.

Pour clore le sujet de l'AI Pin et de ses équivalents, l'équation était trop déséquilibrée pour aboutir à un résultat positif : au-delà des dysfonctionnements du moteur mis en œuvre, le choix d'un mode vocal exclusif pour dialoguer avec la machine représentait d'emblée un obstacle (quasiment) insurmontable, comme l'ont montré des générations d'assistants mobiles, dans un monde où les médias préférés des consommateurs sont visuels et où l'appel téléphonique a été supplanté par les messages instantanés.

Mais ce ne sont pas les seuls problèmes à résoudre, l'IA apportant aussi son lot de préoccupations spécifiques. Ainsi, outre le choix du mode de communication (qui devrait vraisemblablement être hybride) et le support physique du dispositif (qui pourrait bien rester le téléphone), il faudra aussi, entre autres, instiller la confiance vis-à-vis de sa qualité et de sa fiabilité, rassurer les utilisateurs sur la sécurité de leurs données… pour ne citer que deux critères majeurs d'adoption dans le contexte présent.

De la même manière que la révolution du smartphone doit certainement plus à iOS (plutôt dans sa deuxième itération, d'ailleurs) qu'à l'iPhone lui-même, la révolution de l'IA, si elle intervient un jour, reposera sur la capacité d'une entreprise (ou d'un individu ?) à concevoir l'interface utilisateur qui rendra indispensable dans la vie quotidienne ce qui n'est fondamentalement qu'un outil. Incidemment, je me demande si ce n'est pas la raison pour laquelle Apple tarde à entrer sérieusement sur le marché…

Agentic AI

lundi 2 juin 2025

Les bizarres priorités de Lloyds

Lloyds Bank
En deux jours, la semaine dernière, Lloyds Bank présentait deux nouveaux services à l'intention de ses clients, totalement différents autant dans leurs contenus que dans leurs implémentations. Il semble en ressortir une approche opportuniste de l'innovation qui, a contrario, met en lumière une inquiétante absence de vision stratégique.

Le premier, concocté avec la plate-forme spécialisée Hopper (à base d'intelligence artificielle, évidemment !), permet aux clients de l'établissement de réserver leurs vacances (vols et hôtels) directement depuis son application mobile, en bénéficiant des divers avantages tarifaires proposés par le partenaire. Voilà un exemple typique de fonction extra-bancaire, dont les prédécesseurs n'encouragent pas à l'optimisme quant à sa capacité de séduction et, plus largement, sa valeur pour les utilisateurs.

Le second est en revanche intimement lié aux métiers de Lloyds, puisqu'il s'agit de fournir aux couples une solution de pilotage de leurs dépenses communes, assurant à la fois leur suivi et leur répartition automatique sur plusieurs comptes et intégrant également une option d'épargne mutualisée. Cependant, dans ce cas, l'offre se limite (pour les plus prompts à la saisir) à un accès gratuit à la version avancée de l'application dédiée de Lumio, un récent participant au programme d'incubation de la banque.

Prises séparément, ces deux actualités n'ont rien d'original, y compris dans leurs défauts intrinsèques. Mises côte à côte, elles révèlent une gestion pour le moins surprenante des priorités au niveau de l'institution financière. Après tout, pourquoi diable une solution sans rapport avec la banque et ne correspondant à aucun besoin profond des clients est-elle incluse dans leur expérience tandis que celle qui répond à une demande d'une partie de la population (frustrée par la dispersion des apps) ne l'est pas ?

Lloyds – Travel Booking

La raison de cette incohérence, qui concerne quasiment toute l'industrie, est extrêmement simple : les innovations introduites dans les institutions financières le sont en fonction de facteurs conjoncturels – de la rencontre avec un entrepreneur à la lubie d'un responsable – et ne suivent aucun plan prédéterminé. Les ajouts, se faisant au hasard des événements, finiront par aboutir à des logiciels Frankenstein, rendus confus par la multiplicité de leurs fonctions, sans qu'ils soient plus utiles pour autant.

Le symptôme traduit simultanément le manque de prise au sérieux de ce que devrait être une démarche structurée d'innovation et un certain mépris pour les clients, à qui sont servies des applications mobiles assemblées sans préoccupation de cohérence ni perspective stratégique. Voilà une autre explication au succès des nouveaux entrants, capables de garder le cap sur ce qui compte vraiment pour les consommateurs, indépendamment du nombre de services qu'ils ont à mettre entre leurs mains.

dimanche 1 juin 2025

Une leçon de design par Monzo

Monzo
En décrivant pas à pas sa démarche de conception de son service de virements de masse pour les entreprises, Monzo nous offre une formidable leçon de « design thinking », dans les règles de l'art, et démontre par la même occasion que ce genre de méthode n'est pas (et ne devrait jamais être) réservé aux seules « grandes » innovations.

La première étape commence bien sûr par l'identification d'un besoin et, dès cette entrée en matière, la focalisation sur le client figure au premier plan. En l'occurrence, rien d'extraordinaire puisque l'équipe en charge de la banque pour les professionnels a simplement analysé les avis et commentaires de ses utilisateurs. La fonction envisagée est en outre relativement classique dans l'industrie. Mais il est hors de question d'imiter la concurrence sans explorer au préalable les attentes profondes à satisfaire.

Pour ce faire, l'écoute passive ne suffit plus, il faut s'immerger dans la réalité des premiers concernés afin de comprendre comment ils exécutent habituellement leurs opérations groupées – notamment pour les versements de salaires ou les règlements de factures récurrents –, quels outils ils adoptent dans ce but, quelles sont les frictions et les irritants qu'ils rencontrent… Cette phase se déroule par une série d'entretiens poussés, dont l'objectif est d'étudier le problème et non de rechercher une solution.

En vue d'enrichir les observations, plusieurs approches complémentaires entrent en jeu. Les données capturées au travers des usages actuels fournissent ainsi des enseignements précieux, tels que, par exemple, la fréquence des transactions ciblées ou la préférence pour un canal web plutôt que l'application mobile (par crainte d'erreurs). La cartographie des parcours, comportant non seulement les actions réalisées mais également les émotions associées, permet de matérialiser l'ensemble des résultats.

Monzo – Bulk Payments

Avant de passer à la définition d'un produit, il reste encore un exercice incontournable à effectuer (dont je constate hélas régulièrement qu'il est presque toujours oublié) : explorer la manière dont d'autres acteurs appréhendent le sujet. Il s'agit de recenser les options existantes et, surtout, de déterminer, le cas échéant, en quoi celles-ci ne sont pas optimales et, inversement, quels avantages distinctifs elles exposent dans leurs interactions. Elles aideront aussi à établir ce qui créera un facteur de différenciation.

Une fois la matière première assemblée, il est temps de passer à la conception proprement dite (quoique, en pratique, les échanges avec les clients s'accompagnent de prototypes afin d'évaluer leurs réactions initiales). Naturellement, elle est organisée par itérations, avec un plan prédéfini visant une transition d'un « produit minimum viable » à une solution idéale. Chaque version est d'abord soumise à quelques testeurs, autant pour éliminer les anomalies que pour affiner les principes opérationnels.

Dernière étape de la méthode : il faut mesurer les bénéfices concrets obtenus, ici (comme souvent) la satisfaction des clients, matérialisée par la baisse de leurs récriminations et le renforcement de leur fidélité. Et, pour résumer les critères de succès de l'approche elle-même, Monzo retient cinq éléments clés : l'utilisateur placé au centre des préoccupations, la collaboration dans un écosystème, la conversation permanente, l'apport des données objectives disponibles, la flexibilité et l'audace.