D'un côté, l'annonce de la mise en place d'une identité numérique à l'échelle de l'Union Européenne représente un pas en avant majeur dans la construction d'une économie « digitale » cohérente pour le continent. De l'autre, ses modalités pratiques soulèvent tout de même une interrogation : ne risque-t-elle pas de se transformer en usine à gaz ?
Les enjeux relèvent autant de la simplification des accès à toutes sortes de services paneuropéens que de la protection des données sensibles. En effet, le principe du portefeuille virtuel qui nous est présenté consiste à fournir à chaque citoyen la possibilité d'utiliser son mécanisme d'authentification pour s'identifier sur le web et sur mobile, de conserver en parfaite sécurité ses informations personnelles et de partager celles-ci en ligne, en connaissance de cause et en conformité avec la réglementation.
L'idée n'est pas très originale et, en particulier, elle est déjà implémentée, parfois sur un périmètre fonctionnel restreint, dans un certain nombre de pays, notamment en Belgique (avec itsme) ou dans l'hexagone (avec France Connect). Grâce à l'initiative de la Commission Européenne, ces outils, aujourd'hui de portée locale, pourront bientôt être utilisés hors des frontières nationales, dans tous les états membres, en particulier sur les grandes (?) plates-formes, publiques et privées, qui seront tenues de l'intégrer.
L'objectif ne se limite pas à autoriser la connexion à tel ou tel service avec une identité certifiée. Le dispositif proposé aura également vocation à permettre des contrôles spécifiques, tels que la vérification de l'âge d'un utilisateur, du permis de conduire, des comptes bancaires… et, plus généralement, la transmission simple et transparente des données brutes ou calculées requises pour une procédure, qu'il s'agisse d'une déclaration de revenus aux impôts ou de la signature d'un contrat de location pour une maison.
Si le plan paraît admirable, sa mise en œuvre suscite rapidement quelques inquiétudes. Tout d'abord en termes de délais, puisque la première étape de la feuille de route est fixée à septembre 2022, avec l'élaboration d'une boîte à outils commune, ne comprenant qu'un modèle d'architecture technique, assorti d'un corpus de normes et de bonnes pratiques, préparatoire à la phase d'exécution. Dans ces conditions, il est difficile d'imaginer un déploiement, probablement expérimental, avant deux, voire trois, années.
Par ailleurs, le choix de laisser la responsabilité de la réalisation aux états membres, dans une approche fédérative, constitue une arme à double tranchant. Certes, elle facilitera la prise en compte des différences locales et la capitalisation sur les systèmes existants, mais, en contrepartie, elle introduit une variété qui peut vite tourner à l'hétérogénéité puis au chaos. Des efforts considérables seront nécessaires afin de garantir que l'expérience utilisateur résultante (avec, au moins, 27 outils distincts) restera satisfaisante.
Ne boudons pas le plaisir de voir l'Union Européenne s'atteler à un projet extrêmement ambitieux, qui pourrait favoriser le rapprochement « digital » entre les nations qui la composent… et qui tendent à maintenir leurs frontières virtuelles sinon physiques. Pour autant, ne retenons pas notre souffle en attendant sa concrétisation : il s'agit indiscutablement d'un chantier de très grande ampleur, rendu d'autant plus complexe par sa décentralisation. Un test en soi de la capacité à fédérer des énergies disparates.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Afin de lutter contre le spam, les commentaires ne sont ouverts qu'aux personnes identifiées et sont soumis à modération (je suis sincèrement désolé pour le désagrément causé…)