Chaque fois que j'ai l'occasion d'évoquer l'avenir de la relation bancaire en agence – et la plupart d'entre vous connaisse mon opinion sur le sujet –, des voix s'élèvent pour souligner le rôle social supposé de ces implantations dans le territoire. Mais quelle réalité cette notion recouvre-t-elle exactement ? Pour ma part, j'estime qu'elle relève du mythe.
En premier lieu, il n'est probablement pas inutile de rappeler que cette vision un peu idyllique est une « invention » récente. Je me souviens ainsi parfaitement de l'époque, dans les deux dernières décennies du XXème siècle, où le nombre de points de vente des grandes enseignes de la banque et de l'assurance explosait littéralement, en remplaçant moult boutiques de quartiers et de villages. La perception alors était quasiment unanime d'une déshumanisation de l'économie locale au profit du monde de la finance.
C'est justement en raison de ce remplacement qu'une mutation a commencé à s'opérer progressivement dans les esprits : puisque le commerce de proximité disparaissait face à la grande distribution et ses hypermarchés sans âme, alors il ne resterait plus qu'à chercher un peu de contact dans les établissements qui avaient pris sa place. Et, naturellement, le jour où ces installations se trouvent elles-mêmes menacées, sans aucun espoir de substitut cette fois, la panique émerge, au moins vingt ans trop tard…
En effet, ce que regrettent ceux qui désireraient aujourd'hui que les banques maintiennent leur présence, en particulier dans des zones rurales plus ou moins sinistrées, ce n'est résolument pas la faculté de pouvoir dialoguer de temps en temps avec un expert financier mais plutôt, d'un point de vue général, un lieu de rencontre et de vie sociale pour la communauté. Or l'agence, bien qu'elle soit une des dernières options disponibles, est certainement le plus mauvais choix possible pour remplir cette fonction.
De toute évidence, attendre de l'entreprise qui gère leur argent qu'elle prenne en compte une dimension sociale dans sa relation avec ses clients paraît pour le moins utopique : même quand le conseiller aborde son travail avec conscience et humanité, elle est par nature incompatible avec les principes comptables mécaniques qui régissent l'industrie, qu'ils ressortent de la maîtrise des risques ou de la conformité réglementaire, surtout avec la centralisation à outrance qui touche désormais jusqu'aux organisations mutualistes.
Bien sûr, pour ne rien arranger, les institutions financières, prises dans une spirale de décroissance de leurs marges, n'ont aucune envie d'assumer un rôle qui leur coûterait cher sans perspective de retour sur investissement. Du haut de leurs hiérarchies, elles ne se sentent pas investies d'une mission de service public (comme l'est la Poste, relais classique de lien social) et refusent de s'engager dans un ancrage au cœur des territoires qui les inciterait à participer activement au tissu local, au-delà de leurs métiers.
L'évolution des modèles de distribution constitue encore un autre facteur dans l'équation, qui sera extrêmement difficile à changer. Le conseiller personnel qui pouvait autrefois être le pilier d'une relation de confiance a été tellement dévalorisé au fil de l'automatisation des processus qu'il n'a plus qu'un objectif dès sa prise de fonction : gravir les échelons de l'entreprise au plus vite, ici ou ailleurs, et ne plus avoir à assumer les rendez-vous avec les visiteurs. Comment, dans ces conditions, consolider le fameux lien social ?
Enfin, le plus important, qui reste oublié de la plupart des discussions, reste le client, et plus spécifiquement ses attentes. Qui lui a demandé s'il voulait une agence bancaire pour satisfaire son besoin de contact humain ? N'affirme-t-il pas au contraire qu'il veut d'abord des réponses à ses questions financières ? Et si certains vont à la rencontre d'un conseiller pour recherche un peu de chaleur, n'est-ce pas juste parce que les structures chargées de répondre à cette exigence les ont désertés depuis longtemps ?
En résumé, l'idée d'un nécessaire rôle social de l'agence naît d'une double confusion. La première est le rapprochement infondé qui est opéré intuitivement entre la fonction essentielle de l'institution bancaire dans la société moderne et l'engagement au sein de sa communauté de ce qui la représente (bâtiment, employé…). La seconde est le report sur le dernier acteur relativement dynamique des collectivités locales des espérances (et des rancœurs) accumulées après des années d'abandon par tous les autres.
Alors, certes, les grandes enseignes du secteur pourraient essayer (à grand peine, j'imagine) d'endosser la panoplie qu'on veut absolument leur faire porter. Mais personne n'en tirera le moindre bénéfice, ni elles, ni leurs collaborateurs, ni, surtout, les clients qui aimeraient retrouver un tissu social détricoté à grande échelle depuis un demi-siècle.
Article dédicacé à Philippe ;-)
En premier lieu, il n'est probablement pas inutile de rappeler que cette vision un peu idyllique est une « invention » récente. Je me souviens ainsi parfaitement de l'époque, dans les deux dernières décennies du XXème siècle, où le nombre de points de vente des grandes enseignes de la banque et de l'assurance explosait littéralement, en remplaçant moult boutiques de quartiers et de villages. La perception alors était quasiment unanime d'une déshumanisation de l'économie locale au profit du monde de la finance.
C'est justement en raison de ce remplacement qu'une mutation a commencé à s'opérer progressivement dans les esprits : puisque le commerce de proximité disparaissait face à la grande distribution et ses hypermarchés sans âme, alors il ne resterait plus qu'à chercher un peu de contact dans les établissements qui avaient pris sa place. Et, naturellement, le jour où ces installations se trouvent elles-mêmes menacées, sans aucun espoir de substitut cette fois, la panique émerge, au moins vingt ans trop tard…
En effet, ce que regrettent ceux qui désireraient aujourd'hui que les banques maintiennent leur présence, en particulier dans des zones rurales plus ou moins sinistrées, ce n'est résolument pas la faculté de pouvoir dialoguer de temps en temps avec un expert financier mais plutôt, d'un point de vue général, un lieu de rencontre et de vie sociale pour la communauté. Or l'agence, bien qu'elle soit une des dernières options disponibles, est certainement le plus mauvais choix possible pour remplir cette fonction.
De toute évidence, attendre de l'entreprise qui gère leur argent qu'elle prenne en compte une dimension sociale dans sa relation avec ses clients paraît pour le moins utopique : même quand le conseiller aborde son travail avec conscience et humanité, elle est par nature incompatible avec les principes comptables mécaniques qui régissent l'industrie, qu'ils ressortent de la maîtrise des risques ou de la conformité réglementaire, surtout avec la centralisation à outrance qui touche désormais jusqu'aux organisations mutualistes.
Bien sûr, pour ne rien arranger, les institutions financières, prises dans une spirale de décroissance de leurs marges, n'ont aucune envie d'assumer un rôle qui leur coûterait cher sans perspective de retour sur investissement. Du haut de leurs hiérarchies, elles ne se sentent pas investies d'une mission de service public (comme l'est la Poste, relais classique de lien social) et refusent de s'engager dans un ancrage au cœur des territoires qui les inciterait à participer activement au tissu local, au-delà de leurs métiers.
L'évolution des modèles de distribution constitue encore un autre facteur dans l'équation, qui sera extrêmement difficile à changer. Le conseiller personnel qui pouvait autrefois être le pilier d'une relation de confiance a été tellement dévalorisé au fil de l'automatisation des processus qu'il n'a plus qu'un objectif dès sa prise de fonction : gravir les échelons de l'entreprise au plus vite, ici ou ailleurs, et ne plus avoir à assumer les rendez-vous avec les visiteurs. Comment, dans ces conditions, consolider le fameux lien social ?
Enfin, le plus important, qui reste oublié de la plupart des discussions, reste le client, et plus spécifiquement ses attentes. Qui lui a demandé s'il voulait une agence bancaire pour satisfaire son besoin de contact humain ? N'affirme-t-il pas au contraire qu'il veut d'abord des réponses à ses questions financières ? Et si certains vont à la rencontre d'un conseiller pour recherche un peu de chaleur, n'est-ce pas juste parce que les structures chargées de répondre à cette exigence les ont désertés depuis longtemps ?
En résumé, l'idée d'un nécessaire rôle social de l'agence naît d'une double confusion. La première est le rapprochement infondé qui est opéré intuitivement entre la fonction essentielle de l'institution bancaire dans la société moderne et l'engagement au sein de sa communauté de ce qui la représente (bâtiment, employé…). La seconde est le report sur le dernier acteur relativement dynamique des collectivités locales des espérances (et des rancœurs) accumulées après des années d'abandon par tous les autres.
Alors, certes, les grandes enseignes du secteur pourraient essayer (à grand peine, j'imagine) d'endosser la panoplie qu'on veut absolument leur faire porter. Mais personne n'en tirera le moindre bénéfice, ni elles, ni leurs collaborateurs, ni, surtout, les clients qui aimeraient retrouver un tissu social détricoté à grande échelle depuis un demi-siècle.
Article dédicacé à Philippe ;-)
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