En quelques mois, dans le sillage du lancement de ChatGPT, l'intelligence artificielle, entourée d'un étrange halo mythologique, est devenue la technologie à adopter impérativement dans les grandes entreprises. Comprendre les mécanismes en jeu derrière les récits devrait permettre de garder la tête froide et d'éviter les excès.
Je découvrais il y a quelques jours un passionnant article de ComputerWorld évoquant le scepticisme de rares acteurs vis-à-vis de l'emballement présent pour l'IA, entre, notamment, Apple, dont les recherches mettent en évidence la réalité triviale – la machine est aujourd'hui incapable de raisonnement –, et Meta, dont le « gourou » Yann LeCun souligne que nous sommes aisément trompés sur les véritables capacités d'un logiciel en raison de son accès instantané à une mémoire presque infinie.
Pourtant, en dépit de ces vérités, la tendance générale ne s'infléchit pas et le brouhaha médiatique vantant les attributs quasiment magiques de ChatGPT et consorts ne faiblit pas. Il ne serait pas grave s'il n'affectait pas les décisions des dirigeants de ce monde et leurs priorités d'investissement, engloutissant des budgets considérables dans des expérimentations dont la plupart sont ou seront abandonnées… sans parler de l'impact climatique de la débauche de puissance de calcul consommée pour ces chimères.
Et pourquoi la déraison semble-t-elle prendre le dessus ? Probablement parce que, contrairement à celles qui expriment leurs réserves, les innombrables organisations qui donnent de la voix en faveur de l'intelligence artificielle, jusqu'à défendre des promesses excessives, voire parfois quasiment absurdes, sont celles qui désirent en profiter directement, dans un contexte où elles recherchent inlassablement de nouvelles sources de croissance, à moins qu'elles ne luttent contre un marasme ambiant.
Observez donc qui est toujours prêt à démontrer les prouesses de tel modèle ou bien à exposer les cas d'usage mirifiques qui, en comparaison, vous relèguent au rang de dinosaure ? En première ligne, vous trouverez naturellement les fournisseurs de ces technologies, OpenAI en tête. Puis viennent les opérateurs de centres de données, surtout infonuagiques, tels que Google, qui se frottent les mains à la seule idée des ressources informatiques qui seront nécessaires aux futures applications de l'IA.
Il reste enfin les cabinets de conseil, qui se lamentent de la faible dynamique du marché, marquée, entre autres, par une disparition relative de grands projets stratégiques. Pour eux, entretenir l'illusion d’une sorte d'opportunité du siècle, qu'il ne faudrait absolument pas manquer pour rester dans la course et espérer survivre à moyen terme, constitue un moyen de conserver leur place – et leurs revenus – chez des clients qui n'ont plus autant de missions à leur confier qu'en période faste.
Avant de vous laisser séduire par les sirènes de l'intelligence artificielle, interrogez-vous donc sur les sources qui propagent ses mérites et décrivent par le menu les avantages que vous en tirerez : proviennent-elles toutes d'un même groupe d'entreprises susceptibles – suspectes – d'être plus concernées par leur propre intérêt que par votre succès ? Avez-vous pris en compte les voix dissonantes dans votre analyse ? Et, au fait, n'avez-vous pas quelques priorités plus urgentes à traiter ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Afin de lutter contre le spam, les commentaires ne sont ouverts qu'aux personnes identifiées et sont soumis à modération (je suis sincèrement désolé pour le désagrément causé…)