Le cabinet de conseil Kearney publie la seizième édition de son radar de la banque de détail en Europe, et le moins qu'on puisse dire est que, en dépit d'évolutions majeures dans les comportements des clients, il laisse une étrange impression de stagnation de l'industrie, notamment en ce qui concerne sa transformation « digitale ».
L'enquête, portant sur 90 établissements répartis dans 21 pays du continent, révèle d'abord que, globalement et pour la première fois, plus de la moitié (52%) des achats de nouveaux produits sont désormais réalisés entièrement à travers des canaux numériques (y compris les comparateurs en ligne pour la sélection, les réseaux sociaux pour les recommandations…). Plus généralement, 70% des souscriptions impliquent le recours à au moins une interaction « digitale » durant le processus.
Toutes les lignes de produit sont affectées, à une réserve près : le crédit immobilier ou hypothécaire croît beaucoup moins vite et se trouve à la traîne de la tendance. Pour les analystes (et je les rejoins sur ce point), la faute en revient à l'absence, dans de nombreux cas, d'option de parcours 100% « digital ». La position avancée de l'investissement, a contrario, tend d'ailleurs à démontrer que l'argument habituel du produit complexe nécessitant un accompagnement humain n'est plus très pertinent.
En revanche, le paysage est extrêmement contrasté d'un marché à l'autre, même si la croissance est universelle. Ainsi, si le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont les champions de l'adoption (avec presque trois quarts de ventes exclusivement électroniques), la France se retrouve en toute fin de classement (à 42%). La première explication est à rechercher dans l'ancienneté des stratégies car ceux qui ont embrassé la révolution le plus tôt en tirent avantage, même après le boom égalisateur de la pandémie.
Une autre dimension de l'équation entre probablement aussi en ligne de compte, au vu de l'apparente corrélation entre ces chiffres et ceux qui portent sur les agences. Car, là encore, l'hexagone constitue une anomalie patente, cumulant les records avec son nombre et sa densité d'implantations, ainsi que son faible taux de fermetures sur les quatre dernières années. Peut-on sérieusement croire que les français ont tellement besoin de contact physique ? Ou bien ces réseaux pléthoriques engendrent-ils une certaine paresse dans la mise en place de solutions numériques de bout en bout ?
En dépit des quelques doutes qu'ils soulèvent, les spécialistes de Kearney maintiennent que le besoin de conversations en face à face reste important pour les produits dits complexes (pour ma part, je persiste à penser qu'il faudrait plutôt parler de produits « engageants » et « intimidants »). Ils notent cependant que ces échanges sont maintenant souvent reportés sur des médias à distance (téléphone, tchat, visioconférence…) sans impact notable sur la perception de la qualité de service.
Pourtant, avant de brandir le choix de multiples banques de réorienter la mission de leurs agences vers le conseil à forte valeur ajoutée, il ressort que celle-ci ne répond pas toujours à la demande de manière satisfaisante (faute de développement des compétences ?). En effet, ce sont les conseillers financiers indépendants qui tirent leur épingle du jeu, avec une progression de 50% de leurs interventions, par exemple dans des projets de restructuration de prêt hypothécaire ou de refinancement.
On en revient donc toujours au même défi, immuable, quels que soient les canaux privilégiés par les clients : comment leur procurer l'accompagnement personnalisé qu'ils réclament (car ce n'est pas spécialement un contact humain qu'ils souhaitent) ? Il a disparu de la relation directe en même temps qu'émergeait la banque à distance et, en pratique, il n'est toujours pas implémenté dans les outils « digitaux ». Voilà la vraie lacune qu'il faut combler afin d'avancer (enfin) dans la modernisation du secteur.
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