Quand Yann Le Cun – gourou de l'intelligence artificielle, scientifique en chef de l'IA chez Meta (ex-Facebook) et co-récipiendaire d'un prix Turing en 2018 – affirme que, en dépit de sa perception généralisée, l'agent ChatGPT n'est pas particulièrement innovant, ses propos inondent rapidement les médias internationaux. Pourtant, il se trompe.
Certes, comme il le souligne, les technologies sous-jacentes à cette plate-forme capable d'engager une conversation rationnelle, cohérente et informée n'ont rien de très original et des dizaines d'autres entreprises, de toutes tailles, en développent des implémentations opérationnelles, parfois depuis de longues années. Mais ces travaux et leur aboutissement n'ont qu'un lointain rapport avec ce qui constitue une véritable innovation, à savoir la rencontre réussie entre un produit, un cas d'usage et un public.
Sous l'éventuelle réserve de son évolution dans la durée, ChatGPT remplit précisément les conditions de cette définition. Ce constat objectif est confirmé à la fois par son adoption immédiate par des millions d'utilisateurs, d'abord curieux puis désireux d'en tirer les bénéfices, mais également, et peut-être de manière plus éclatante encore, par la vague de questions inédites qu'il suscite, par exemple face aux étudiants qui lui font faire leurs devoirs, aux cybercriminels qui l'exploitent pour affiner leurs attaques…
Naturellement, Yann Le Cun est désappointé de ne pas être le premier à découvrir la poule aux œufs d'or de l'IA, et celle-ci ne retire rien à la valeur des recherches passées – les siennes comme celles de milliers d'anonymes – ayant permis de la mettre au point, mais il ne peut contester son statut. Incidemment, son choix de travailler pour une organisation outrageusement commerciale n'est certainement pas étranger à son absence sur la photo d'une innovation importante dans son domaine de prédilection.
En effet, les efforts de Meta se concentrent, selon toute vraisemblance, sur les applications de l'intelligence artificielle destinées à renforcer l'efficacité de la publicité sur les réseaux sociaux (et accroître les revenus, bien sûr) – alors que les algorithmes de ciblage des contenus restent atterrants (après 10 ans de masquages et de blocages, ils ne veulent toujours pas admettre que je n'aime pas le foot !). La probabilité de donner naissance à une innovation (de rupture, de préférence) dans cet espace est faible.
Concrètement, Yann évoque l'une des pistes explorées par ses équipes : un système génératif artistique qui serait dédié à la création de matériel marketing (en clair, des publicités en ligne) pour les millions de petites entreprises qui n'ont pas les moyens de recourir aux services de professionnels dans ce but. Le résultat pourra être qualifié d'innovant, quand il aura vu le jour et qu'il aura conquis une part conséquente de son marché, mais il n'aura évidemment jamais, tel quel, l'impact d'un ChatGPT.
En conclusion, cette réaction épidermique, finalement anecdotique, représente une excellente occasion de rappeler que la technologie n'est qu'une composante – pas nécessairement révolutionnaire et souvent même optionnelle, qui plus est – de l'innovation. Le cas d'usage est beaucoup plus critique pour qui veut changer le monde. Dans l'univers financier, on comparerait l'optimisation des ventes croisées – amélioration incrémentale – et le déploiement d'un conseiller virtuel personnalisé – disruption…
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