S'il m'arrive régulièrement de me lamenter de la tragique perte de connaissance intime de leurs clients qu'a entraînée la « digitalisation » des institutions financières, je l'aborde essentiellement sous l'angle de la personnalisation des services. Cependant, comme le souligne Uri Rivner (Refine Intelligence) dans un article pour Finextra, ses conséquences sont également lourdes dans la lutte contre la criminalité.
Pour les générations qui ont atteint l'âge adulte avant les années 80, la relation avec la banque a longtemps été synonyme d'interactions récurrentes dans une agence et d'échanges fréquents avec un conseiller. Ce dernier savait, de la sorte, (presque) tout de la vie des clients qui composaient (en nombre raisonnable) son portefeuille. Il était capable de suggérer le bon produit en amont d'un grand événement qui se préparait et il pouvait aisément identifier les opérations suspectes par rapport à leurs habitudes.
Depuis cette (lointaine) époque, deux phénomènes se sont combinés pour rendre ce modèle obsolète. D'une part, l'introduction des outils de libre service, notamment les applications web et mobiles, mais aussi la généralisation des centres d'appel, réduisent les opportunités de rencontre avec un interlocuteur privilégié, qui n'a donc plus d'occasion de suivre les évolutions de contexte de ses clients. D'autre part, la tendance en hausse à recourir à des fournisseurs multiples réduit le champ de visibilité de chacun d'eux.
Dans ces conditions, que deviennent les procédures de lutte contre la fraude ou contre le blanchiment, qui doivent en outre obéir à des contraintes réglementaires toujours plus complexes ? Les logiciels plus ou moins intelligents qui en constituent le socle ne sont hélas normalement que des guides et leurs alertes doivent être validées ou infirmées par un contrôle manuel, dont l'importance s'avère critique puisque, selon Uri, 95% des « anomalies » détectées automatiquement trouvent en fait une explication légitime.
Hier comme aujourd'hui, en première ligne de ces vérifications, figure évidemment le conseiller attitré ou, à tout le moins, l'agence dans laquelle est géré le compte incriminé. Or, si, autrefois, le chargé de clientèle était à même d'exprimer un avis pertinent grâce à sa connaissance de son propriétaire et des circonstances susceptibles d'expliquer une transaction atypique (un mariage, un voyage exceptionnel, l'achat d'une résidence secondaire…), il n'est désormais en mesure de le faire que dans 12% des cas !
L'immense majorité des incidents repérés imposent ainsi de contacter directement le client afin d'obtenir les réponses requises. À la clé, ce sont des surcoûts considérables (aggravés par de multiples aller-retours successifs), des frictions délétères entre les collaborateurs de première ligne et le département de conformité, des délais incompréhensibles sur les traitements, des frustrations insupportables pour les victimes de ces « harcèlements »… et une performance anti-criminalité qui laisse à désirer.
En synthèse et pour marteler le message, la banque ne connaît plus son client (le KYC classique étant, en la matière, une vaste plaisanterie) et cette lacune est une catastrophe sur tous les plans (dont ceux, primordiaux, de ses résultats, de la confiance qu'elle inspire et de son attractivité). En revanche, contrairement à Uri, je ne crois pas qu'il soit impossible de la résorber. En réalité, grâce aux immenses gisements de données accessibles, il me paraît envisageable de reconstituer un portrait détaillé de chaque détenteur de compte, permettant de restaurer une vraie relation personnalisée.
Image par Yeimi (pour Pixabay) |
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