Afin de dynamiser sa recherche d'applications utiles de l'intelligence artificielle dans l'ensemble de ses activités, une petite banque américaine a déployé une plate-forme sur laquelle ses employés sont invités à partager leurs idées. Que penser de cette résurrection de l'innovation participative autour d'une technologie à la mode ?
L'« Idea Exchange » a été mis en place en 2022 par Academy Bank et aurait depuis permis de collecter quelques 120 propositions de la part des salariés, dont une bonne partie ont été implémentées. Le nombre relativement modeste est probablement dû à une exigence de non seulement décrire la solution envisagée mais également d'argumenter et de défendre sa valeur potentielle. L'objectif est bien entendu de garantir une qualité minimale et d'éviter une prolifération synonyme de dispersion d'énergie.
La justification traditionnelle de l'appel aux collaborateurs pour la production d'innovation repose sur un postulat simple et rationnel : ce sont ceux qui travaillent au cœur des opérations qui sont les plus à même de connaître leurs faiblesses et d'imaginer les moyens de les améliorer. La popularité des outils d'IA et leur propagation dans le quotidien des citoyens, qui leur procure une compréhension concrète de leurs capacités, rend la déclinaison du principe sur ce thème spécifique d'autant plus pertinente.
Dans une certaine mesure, et selon la politique de la banque vis-à-vis de l'accès aux ChatGPT de l'internet public, il ne faut pas exclure que la boîte à idées soit même née de l'observation des pratiques et des usages spontanés des employés, un peu comme ils furent (douloureusement) vécus à l'époque (lointaine) de l'arrivée d'Excel sur les postes de travail. La démarche viserait alors à capitaliser sur la créativité de quelques-uns au service de l'ensemble de l'entreprise, dans un cadre organisé et contrôlé.
Un tel retour en grâce de l'innovation participative a-t-il une chance de générer un avantage majeur pour Academy Bank ? Avant de répondre, il faut commencer par rappeler que le concept est principalement destiné à stimuler l'émergence d'améliorations incrémentales – plus que de transformations radicales – puisqu'il repose sur la réflexion de personnes immergées dans leurs tâches habituelles, par nature peu susceptibles de réinventer leur environnement et leur expérience existants.
Je pense que cette caractéristique est justement la raison pour laquelle l'innovation participative a plus ou moins disparu dans les grands groupes, après un engouement contagieux dans les années 2010 : le rapport coût-bénéfice s'avérait insuffisant. Les efforts nécessaires à la gestion de ces programmes (entre autres sur l'évaluation des soumissions et les tentatives de généralisation), combinés à la lassitude rapide des participants, étaient difficiles à défendre face à des résultats peu mesurables.
Le déséquilibre de l'équation économique risque de s'aggraver avec l'intelligence artificielle, dont on sait qu'elle est onéreuse à la mise en œuvre comme dans son exploitation. Le choix délibéré d'orienter les solutions attendues sur la technologie constitue en outre un facteur de déperdition : la valeur de chaque proposition doit être relativisée par rapport à l'hypothèse de recours à l'IA, à la fois du point de vue de son retour sur investissement et de celui de sa performance par rapport à d'autres options.
Comme toujours, je suis extrêmement sceptique sur une approche qui interroge l'application d'une solution technique avant d'identifier le problème à résoudre. La seule manière dont Academy Bank peut éviter le syndrome du clou et du marteau consisterait à analyser les propositions de ses salariés sous l'angle des faiblesses à corriger (et à explorer ensuite la meilleure solution, qui ne sera pas nécessairement l'IA). Mais, dans cette perspective, elle ferait mieux d'ouvrir une « boîte à douleurs ».
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