L'idée est dans l'air depuis plusieurs années et quelques entreprises ont commencé à l'implémenter : les données personnelles étant devenues une véritable mine d'or, pourquoi ne pas permettre à chacun de partager les siennes contre rémunération ? Amazon, un des champions de l'exploitation des informations de ses clients, se lance dans l'aventure.
L'annonce ne peut surprendre personne. L'appétit des géants du web en matière première pour ses algorithmes d'analyse, en particulier à des fins marketing, est insatiable. Quels que soient les volumes de données dont ils disposent déjà, ils sont toujours à l'affut de nouvelles sources, susceptibles de leur donner un petit avantage supplémentaire et de développer un peu plus leurs ventes. Et il n'est désormais plus tabou de proposer aux individus de l'argent pour mieux surveiller leurs habitudes.
Certes, l'Amazon Shopper Panel déployé dans ce but aux États-Unis, entre autres à travers une application mobile, comporte un volet classique, sous la forme de courtes enquêtes donnant lieu au versement d'une prime (variable). Mais il invite en outre ses utilisateurs à transmettre les reçus de leurs achats dans les enseignes du commerce traditionnel (supermarchés, grands magasins, restaurants, cinémas…). À la clé, une récompense de 10 dollars leur est promise pour 10 envois validés dans le mois.
La démarche est extrêmement structurée. Ainsi, Amazon choisit les participants au programme parmi ses usagers et ils sont identifiés à l'enrôlement, de manière à parfaitement contrôler son échantillon. Les tickets de caisse fournis sont décryptés dans leurs moindres détails, afin d'en extraire les marques et produits sélectionnés, les prix pratiqués… Il devient ainsi possible de, simultanément, organiser un observatoire de la concurrence et comprendre les comportements des clients hors du site d'e-commerce.
Certains observateurs se réjouiront peut-être de l'initiative d'Amazon, en considérant que la valorisation financière d'une ressource jusqu'à maintenant extraite gratuitement, dans une opacité plus ou moins totale, représente un progrès. Je ne fais résolument pas partie de ceux-là, pour différentes raisons. En premier lieu, l'asymétrie de la transaction soumise au consommateur (qui n'a aucune référence quant à la valeur de ses données) est un facteur de déséquilibre de la relation commerciale sous-jacente.
D'autre part, et il s'agit d'une question de principe fondamental, d'autant plus cruciale que les objectifs visés sont purement mercantiles (par opposition aux applications destinées à améliorer le service rendu à un client), la monétisation de la vie privée engendrera automatiquement un nouveau front d'inégalité et de fracture numérique, entre les personnes aisées, qui peuvent ignorer les sollicitations et préserver leur intimité, et les plus précaires, qui seront tentées de la sacrifier pour quelques euros ou dollars.
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