Contrairement à mon habitude, je m'attarde aujourd'hui sur une jeune pousse (américaine) dont l'approche de gestion des finances personnelles va à l'encontre des grandes convictions que je défends régulièrement dans ces colonnes. Sa cohérence la rend pourtant suffisamment séduisante pour imaginer qu'elle me donne tort !
Dans sa première incarnation, depuis sa création en 2016, Charlie est essentiellement un chatbot de coaching relativement classique qui, à partir d'une analyse des transactions bancaires de l'utilisateur, lui émet des recommandations afin d'améliorer sa situation financière. Mais, face aux demandes pressantes et répétées de ses adeptes, ses développeurs ont maintenant décidé de se consacrer exclusivement à la réduction de l'endettement, laissant ainsi de côté son ambition d'adresser le bien-être à 360°.
Ce choix, à l'opposé de ma thèse selon laquelle il faut impérativement prendre en compte l'ensemble du sujet pour proposer des solutions véritablement pertinentes, obéit évidemment à un principe de réalisme. Il est difficile, surtout pour une petite structure en pleine croissance, de cibler simultanément des problématiques aussi diverses que la budgétisation, le crédit, l'épargne, l'investissement… avec toute l'efficacité requise. En retenant une seule d'entre elles, Charlie peut espérer atteindre l'excellence.
Un autre argument peut également justifier le resserrement de périmètre, dans la mesure où il s'aligne avec la définition d'une cible de clientèle plus étroite. En l'occurrence, les personnes qui se trouvent entraînées dans une spirale de dettes et qui en souffrent vivement sont naturellement susceptibles de concentrer leurs objectifs sur ce seul axe, sans se soucier des autres. Par ailleurs, une fois qu'elles auront surmonté cette phase, la startup aura eu le temps d'adapter ses mécanismes de fonctionnement à l'épargne.
Deuxième facette de la démarche qui mérite une analyse : l'application est conçue sur un mode ludique. En fait, elle est inspirée par l'expérience passée de l'un des fondateurs, remarquant que de nombreux jeux de simulation invitent leur utilisateur à élaborer des stratégies complexes afin de bâtir une économie virtuelle. Serait-il donc possible de décliner les mêmes algorithmes sur de vrais comptes et d'engendrer de la sorte des comportements plus sains et plus rationnels avec l'argent dans la vie réelle ?
Concrètement, la prise en main de Charlie commence par une saisie indicative des dettes existantes (prêts en cours, cartes de crédit…), à partir de laquelle est restituée une information choc : une estimation de la durée totale de remboursement dans l'hypothèse de paiements minimums à chaque échéance due. La prise de conscience d'un engagement sur 40 ou 50 ans devient alors une incitation à agir, renforcée par la possibilité de voir instantanément l'impact d'un effort de 20 ou 50 dollars mensuels.
En termes d'action, la solution recourt à un système bien connu, consistant à mettre automatiquement de côté de petites sommes à intervalles réguliers, qui servent, le moment venu, à compléter les versements aux créanciers. Elle introduit toutefois des critères un peu absurdes pour déclencher les gestes d'épargne, tels qu'une fraction des dépenses « coupables » (par exemple chez McDonald's) ou 1 dollar chaque fois qu'un candidat prononce une « phrase magique » dans une célèbre émission télévisée.
On retrouve effectivement là, avec les animations graphiques qui accompagnent obligatoirement chaque geste accompli dans le logiciel, l'esprit de nombreux jeux vidéo et il est facile de comprendre combien il rend l'expérience amusante. Mais les attitudes qui s'expriment dans un univers virtuel, sans enjeu vital, sont-elles applicables quand elles portent sur le porte-monnaie du quotidien ? Je garde en mémoire cette expérience – certes circonstancielle et anecdotique – qui démontrait justement le contraire…
Heureusement, Charlie ne se repose pas uniquement sur des intuitions issues d'observations faites dans un environnement différent du sien pour implémenter sa vision. Ses équipes comprennent notamment des psychologues, qui savent probablement appréhender les spécificités de la relation à l'argent (réel) dans la mise en œuvre d'une logique de jeu. Il reste maintenant à suivre l'aventure dans les prochains mois afin de vérifier si ses paris, parfois à contre-courant des tendances, s'avèrent payants.
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