La publication des résultats de l'opérateur Orange nous procure une occasion, comme chaque année depuis son lancement en 2017, de mesurer les « progrès » de sa filiale dédiée aux services financiers. Dans la lignée des précédentes, la mouture [PDF] de 2020 ne réserve aucune surprise : le gouffre ne cesse de se creuser.
Avec une perte de 195 millions d'euros, encore en hausse par rapport à l'exercice antérieur, Orange Bank a désormais englouti près de 650 millions d'euros en moins de 4 ans d'existence. Or, à en croire son directeur général, Paul de Leusse, les 1,5 millions de clients conquis grâce à cet investissement massif représentent une référence cohérente avec les valorisations actuelles des néo-banques, aux alentours de 500 euros par client. Autrement dit : ne vous inquiétez pas, nous sommes alignés sur les normes du secteur.
Malheureusement, outre les doutes que de nombreux observateurs entretiennent justement sur les perspectives de viabilité des startups stars de la FinTech, derrière les artifices comptables, les chiffres réels démentent totalement les prétentions affichées. Premier constat, le nombre de clients annoncé mérite correction : une fois retirés 530 000 souscripteurs d'assurance mobile, il reste à peine un million de détenteurs de comptes… dont 350 000 ivoiriens que le marché n'évalue certainement pas à 500 euros.
Pour prendre une perspective différente, comparons maintenant Orange Bank avec un autre nouvel entrant, un peu plus ancien (né en 2013), mais qui a absorbé un montant équivalent dans son développement, soit environ 800 millions de dollars d'investissement : N26. Avec les même ressources, celui-ci a déjà étendu sa présence sur 25 pays dans le monde (plus un où elle s'est retirée, le Royaume-Uni) et revendique 7 millions de clients… dont plus de 2 millions ajoutés au cours des 12 derniers mois.
Car dans un modèle de startup, la croissance constitue l'aspect le plus critique de l'équation : la jeune pousse ne vaut pas 3,5 milliards au regard de son portefeuille actuel mais plutôt pour son futur potentiel d'augmentation exponentielle de sa clientèle à coût marginal. Et, de ce point de vue, la française paraît complètement bloquée : non seulement elle n'a acquis que 150 000 utilisateurs en France et en Espagne mais une partie de son activité, notamment dans le crédit, stagne aussi de manière alarmante.
Incidemment, ces déboires sont également liés, au moins pour partie, à l'anachronisme des choix stratégiques initiaux. Ainsi la priorité placée sur une distribution « physique » dans les agences Orange et Groupama a-t-elle directement souffert de la crise sanitaire et de la baisse de trafic conséquente. Soudain, ce qui était prévisible à long terme est devenu une réalité immédiate : la vente de services financiers ne nécessite plus une interaction avec un humain, surtout s'il n'est pas perçu a priori comme un expert.
Le plus consternant dans cette affaire est l'aveuglement dont font preuve les dirigeants de la banque et de son actionnaire majoritaire. Malgré tous les signaux dans le rouge, aucun changement de stratégie n'est évoqué et les objectifs sont simplement repoussés dans le temps. Mais comment Orange Bank peut-elle imaginer un instant atteindre 5 millions de clients d'ici 2023 en conservant strictement la même approche (y compris en persistant à dépenser des fortunes pour s'installer dans des pays supplémentaires) ?
Il en est pour un opérateur de télécommunications comme pour un géant de la distribution ou un acteur historique : créer une néo-banque s'avère plus difficile qu'on ne le pense, non sur le plan technique mais d'abord en termes de culture d'entreprise. Aujourd'hui, il est clair qu'Orange Bank n'est ni une startup ni une néo-banque et qu'elle ne parviendra jamais à décoller sérieusement. D'autres (C-Zam, Bô, Finn…) ont compris, plus ou moins vite, qu'il valait mieux renoncer, celle-ci semble déterminée à s'entêter…
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