Depuis parfois près de vingt ans, les grands groupes, notamment dans le secteur financier, poursuivent le rêve d'assembler une vue à 360° de leurs clients, traversant leurs silos organisationnels, de manière à mieux les connaître, les conseiller… et leur vendre plus de produits et services. Et soudain Gartner recommande d'abandonner ce projet utopique.
Voilà, en tous cas, le cœur du message porté par une recherche non conformiste (« maverick research », qui ont ma préférence) du cabinet, ce qui signifie qu'elle ne représente pas nécessairement une position consensuelle parmi les analystes. Elle s'accompagne toutefois d'une prédiction qui mérite l'attention par l'impact qu'elle pourrait avoir sur des budgets conséquents : d'ici 5 ans, 80% des organisations qui essayent d'atteindre cette fameuse cible du client 360 mettront un terme à leurs efforts.
Un tel pessimisme ne relève pas d'une fantaisie sortie du chapeau. La réalité est que, bien que tout le monde soit absolument convaincu de la valeur théorique de l'exercice, il apparaît, en particulier à travers l'expérience concrète des clients de Gartner, qu'il est extrêmement complexe et coûteux à réaliser. La situation en arrive aujourd'hui au point où la moitié des responsables de marketing, historiquement les plus demandeurs de connaissance étendue des utilisateurs, estiment que le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Le problème n'est pas seulement dû aux impossibilités techniques héritées d'un passif informatique trop longtemps ignoré et qui bloquent régulièrement les projets. Il s'aggrave constamment sous la pression de plusieurs facteurs incontournables. Le premier est la transformation accélérée du monde, qui rend presque immédiatement obsolètes les systèmes mis en place et les données qu'ils collectent. Juste derrière, viennent les réglementations qui, elles aussi, imposent des changement à un rythme effréné.
Enfin, il ne faut pas ignorer l'érosion de la confiance des clients, due, entre autres, à des pratiques en décalage avec leurs attentes et qui restreint leur capacité à accepter de voir leurs informations personnelles capturées et utilisées jusqu'à l'excès par les enseignes qu'ils fréquentent. Incidemment, il s'avère en outre que les équipes en charge de l'exploitation des données rencontrent quelques difficultés à les dompter et en tirer tous les bénéfices espérés, malgré leur recours à des technologies de dernière génération.
Naturellement, il n'est pas question d'affirmer que les entreprises devraient interrompre tout travail autour de la connaissance du client. Il s'agit avant tout de prendre conscience que la recherche de l'exhaustivité est vaine : il faut d'abord identifier ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé. Consolider 180° de données est réaliste et suffit à optimiser un parcours utilisateur ou filtrer précisément les destinataires d'une campagne. Au-delà, la rentabilité des investissements décroît exponentiellement.
Au tout début du mouvement, nul n'imaginait sérieusement élaborer un portrait extensif du client mais, tout au plus, réduire la fragmentation et la dispersion des informations disponibles. Malheureusement, comme il arrive si souvent dans les grands groupes, la méthode a pris le pas sur la finalité. Dans le cas d'espèce, le besoin de constituer un modèle idéal de « client 360 » tend à devenir le principal moteur des initiatives… en oubliant progressivement l'ambition qu'il devait servir quand il a été imaginé.
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