Depuis quelques mois, mon fil d'actualité déborde d'intelligence artificielle, mixée à toutes les sauces. Et voilà que George Colony, le directeur général de Forrester, se fend maintenant d'un rare billet de blog afin d'encourager les entreprises à s'approprier ses bienfaits sans délais, contrairement aux habitudes de la maison… et de ses clients.
Son entrée en matière résonne pourtant de manière un peu étrange. En marquant la différence entre l'engouement désormais universel pour l'IA générative, déclenché par le déploiement de ChatGPT à l'automne dernier, et les grandes illusions qui l'ont précédée – crypto-actifs, blockchain, métavers – et qui ont créé des réactions similaires avant de retomber comme autant de soufflés, c'est comme s'il fallait par avance présenter des excuses pour un nouvel emballement probablement sans lendemain.
C'est que le message qui suit est grandiloquent. Ainsi, après plusieurs décennies de promesses non tenues, nous serions à la veille – que dis-je ? au cœur – d'une de ces révolutions qu'on ne vit qu'une ou deux fois au cours d'une existence, de celles qui font tomber les géants de la précédente génération et font émerger de nouveaux titans à leur place. Quelle est-elle ? Selon la définition de G. Colony, il s'agit de converser en langage humain avec des masses colossales de données et en dériver de nouveaux contenus.
Son impact ? Elle devrait d'abord changer la nature du web tel qu'on le connaît, en imposant un nouveau mode d'interaction, basé sur un dialogue « naturel ». Transformant de la sorte les méthodes classiques de recherche d'information, elle signerait la mort de Google (décidément, c'est la victime idéale, que Microsoft semble tout de même avoir des difficultés à détrôner). Enfin, elle signerait le début d'une course à la confiance, car ses limitations et ses errements imposent d'en contrôler l'exposition publique.
Pourtant, derrière cette vision, les exemples cités à l'appui de la démonstration ne semblent pas si impressionnants, puisqu'ils relèvent essentiellement de l'utilisation d'une méthode plus intuitive que celle dont on dispose aujourd'hui pour obtenir des réponses à ses questions. En d'autres termes, ils dessinent un moteur de recherche amélioré, tout au plus. Certes, l'avantage n'est pas négligeable mais mérite-t-il vraiment l'injonction urgente de Forrester, surtout en prenant aussi en considération ses défauts ?
C'est que, une fois la fièvre retombée, surgiront les freins à la mise en œuvre. Étonnamment, certains peuvent être discernés dans cette courte tribune : l'impératif, pas aussi trivial qu'il y paraît, d'identifier des cas d'usage réalistes et réellement différenciants, l'exigence de surveillance (humaine), qui requiert des compétences inédites, les autres conditions nécessaires afin d'inspirer la confiance aux utilisateurs (clients ou employés)… que porteront bientôt des contraintes réglementaires, notamment de transparence…
Alors, oui, il faut s'intéresser au sujet et les départements informatiques, main dans la main avec les équipes en charge des données, doivent se familiariser avec les solutions émergentes et réaliser des expérimentations. Mais s'il est question de déploiement opérationnel, en production, rien ne presse : la technologie n'est pas mûre, les praticiens ne sont pas encore formés, les utilisateurs ne sont pas prêts, les risques d'échec sont extrêmement élevés… et la situation ne progressera pas du jour au lendemain.
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