C'est le destin normal de toute « disruption » : d'abord ignorée, puis méprisée et tournée en dérision, elle subit ensuite diverses tentatives d'assimilation avant d'être finalement (trop tard ?) considérée comme une menace sérieuse. Plusieurs commentaires récents laissent à penser que la FinTech entre actuellement dans cette dernière phase.
Il y a quelques jours, Ana Botín (Santander) exprimait indirectement, à travers sa diatribe contre les prétendues facilités réglementaires dont bénéficieraient les nouveaux entrants, une certaine nervosité vis-à-vis d'une génération d'acteurs dont les plus performants ont démontré leur extraordinaire avance dans un monde dépendant de plus en plus de services « digitaux ». Cette semaine, Jamie Dimon, directeur général de JPMorgan Chase, reprenait les mêmes arguments, y ajoutant sa crainte explicite de la FinTech.
La principale inquiétude qu'il exprime à ce stade concerne le secteur des paiements. Il estime ainsi que PayPal (presque un quart de siècle après sa naissance), Stripe, Square, Ant Financial (pourtant malmené ces derniers temps)…, accompagnés des géants technologiques (Amazon, Apple, Google…), sont aujourd'hui mûrs pour engager une guerre concurrentielle susceptible de redéfinir les positions d'ici 10 ans. Il reconnaît même l'impératif pour la banque de s'améliorer afin de rester dans la course.
En contrepoint, à moins que ce ne soit qu'une simple diversion, J. Dimon met en exergue les avantages exorbitants dont profiteraient les startups. Il fait preuve dans cet exercice d'une mauvaise foi caractéristique, en citant par exemple les plafonds de commissions d'interchange moins contraignants pour les petites institutions, alors qu'il redoute évidemment les entreprises qui traitent – ou traiteront un jour – des volumes comparables à ceux de JPMorgan Chase, donc soumises à des conditions identiques.
Une telle stratégie défensive ne trompe personne : les banques historiques, pourtant si promptes à critiquer avec une extraordinaire véhémence la pression réglementaire qui s'exercent sur elles, aimeraient beaucoup que le législateur les aide à lutter contre l'émergence de ces trublions, dont elles ont une peur grandissante de ne pouvoir égaler leur qualité et l'attraction qu'ils exercent sur leurs clients. La montée en puissance de ces discours fallacieux traduit, en vérité, un sentiment d'impuissance.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Santander et JPMorgan Chase se retrouvent en tête de la tendance. Toutes deux sont engagées depuis longtemps dans une vaste opération de manipulation : à travers une communication extensive, assortie tout au plus de quelques modestes initiatives ponctuelles, elles ont réussi à faire croire aux analystes qu'elles étaient à la pointe de la « digitalisation ». Hélas, les succès de la FinTech révèlent progressivement la véritable étendue de leur retard, derrière l'écran de fumée.
Au lieu de chercher à détourner l'attention des observateurs, voire d'espérer que le régulateur fasse disparaître la menace comme par enchantement, les banques devraient plutôt se concentrer sur leurs vraies priorités : comprendre les raisons profondes de la supériorité des offres alternatives et se mettre en capacité de lutter sur le terrain où la bataille se joue (notamment autour de l'expérience client). À défaut, elles risquent effectivement d'être renversées… et pas seulement dans les paiements.
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