Le point de départ de cette réflexion de David Mooter (Forrester) est un constat que nous pouvons tous confirmer autour de nous : bien que (presque) toutes les institutions financières ne jurent plus que par l'« APIfication » de leurs offres, la mise en œuvre de leurs ambitions court visiblement à l'échec. Comment éviter le désastre annoncé ?
Première observation, universelle, les interfaces créées souffrent des défauts qui affectent depuis plusieurs décennies les innombrables tentatives successives de rendre les systèmes d'information des entreprises plus modulaires et plus industriels (les architectures de services, par exemple) : documentation insuffisante, promesses de réutilisation non tenues, duplications bientôt systématiques de fonctions, qui aboutissent à des catalogues encombrés au sein desquels plus personne ne se retrouve.
Selon David Mooter, la principale raison de ces dérives résiderait dans la décision – souvent implicite, faudrait-il préciser – de confier la politique d'API de l'organisation à son département informatique, alors que la responsabilité en appartient à ses métiers. Or, sans lui donner entièrement tort, je pense que l'histoire nous enseigne justement qu'il existe une explication plus profonde à ces rêves déçus à répétition. Je considère ainsi que l'absence d'une approche stratégique du sujet est la vraie coupable primitive.
Je ne parle pas de la nécessité d'imposer des règles techniques d'implémentation. Ce qui manque d'abord est la prise de recul, l'adoption d'une perspective transverse et holistique sur le portefeuille d'API, capable de garantir la rigueur, la cohérence et la visibilité requises pour porter un sens à l'échelle de l'entreprise. Après seulement se pose la question du « qui ». Certes, il est important de prendre conscience de la dimension de l'enjeu, bien au-delà de l'informatique. Mais il faut également craindre la dispersion.
De ce point de vue, il n'est guère surprenant que Forrester remarque que les cas de succès se rencontrent le plus fréquemment quand la direction générale s'empare de la gouvernance. Encore faut-il que l'angle d'attaque retenu soit judicieux. Car les API soulèvent une seconde problématique majeure, à laquelle les grands groupes, en particulier, ont toujours d'extraordinaires difficultés à répondre, à savoir l'impératif d'une collaboration et d'une coordination étroites entre la DSI et les entités opérationnelles.
Autant les uns (obsédés par les aspects logiciels) font fausse route en croyant qu'il suffit, pour exécuter une stratégie, d'exposer les capacités existantes sous un habillage plus ou moins standardisé, autant les autres (plutôt focalisés sur les attentes de leurs clients) risquent de graves désillusions en imaginant que les modèles d'API se décident exclusivement à leur niveau, comme un produit classique, conçu, élaboré et distribué dans un contexte hermétique, sans prendre en compte son environnement.
D'une certaine manière, la complexité et les hésitations qui ressortent des démarches actuelles constituent, dans le secteur financier, un puissant révélateur des tensions créées par sa mutation technologique. D'un côté, la culture informatique lacunaire des dirigeants nuit à leur compréhension intime des défis de l'ère « digitale ». De l'autre, la DSI se prend parfois pour le nouveau cœur de l'entreprise alors qu'elle ne maîtrise évidemment pas l'ensemble de la chaîne de valeur (dont notamment l'expérience client).
L'« APIfication » ne réussira qu'à la condition d'opérer la fusion entre les deux univers. Elle représente ainsi un test crucial pour la survie à long terme des acteurs historiques.
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