Lancé avant la grande vague de surexcitation pour la blockchain, alors que, je dois l'avouer, je croyais encore à ses promesses idylliques, le projet de remplacement du système de compensation de la bourse australienne est finalement abandonné [PDF], laissant une ardoise d'environ 250 millions de dollars et quelques dommages collatéraux.
En 2015, entre son infrastructure logicielle vieillissante et l'utopie montante des registres distribués, ASX devenait, avec Digital Asset, son partenaire technologique dans l'opération, la star de la modernité avec son choix d'adopter une solution révolutionnaire qui devait lui faire effectuer un bond quantique en matière d'efficacité et de maîtrise des coûts. Les doutes exprimés alors par une poignée de fâcheux, sur la faisabilité de la transition et la réalité de ses bénéfices potentiels, étaient écartés sans remords.
Sept ans plus tard (quand l'agenda initial tablait sur un délai d'environ cinq ans), rien n'a été déployé et un audit a été commandité, auprès d'Accenture, afin d'évaluer la viabilité de la nouvelle application. D'emblée, l'état des lieux fait ressortir un taux de complétion de 63% pour l'ensemble des exigences fonctionnelles et non fonctionnelles (le développement et les tests étant a priori quasi finalisés), assorti, malheureusement, d'une incertitude majeure quant à la possibilité d'atteindre une issue satisfaisante.
Si on écarte un éventuel conflit d'intérêt – ou, à tout le moins, un biais – du prestataire retenu pour l'étude (en tant que défenseur de la blockchain et de ses usages), qui se traduit notamment par une mise en exergue des difficultés de gouvernance, les raisons fournies pour expliquer ce fiasco font tout de même état d'une complexité extrême de la plate-forme globale, en particulier au niveau de l'intégration entre les couches d'interface et le registre sous-jacent, menaçant, entre autres, sa performance et son exploitabilité.
Mais est-il raisonnable de « découvrir » ces risques aussi tard dans le projet ? Faut-il se satisfaire du commentaire d'Helen Lofthouse, PDG d'ASX, qui estime que l'expérience procure des enseignements qui resteront utiles pour l'avenir ? Suffit-il de nommer un nouveau directeur de programme afin d'effacer les erreurs commises ? Ou bien serait-il nécessaire, en priorité, de revisiter entièrement les mécanismes internes, les processus de décision, la culture d'entreprise… qui ont abouti à une telle inconséquence ?
Le plus tragique dans l'affaire est le retard pris dans la modernisation du système existant. Bien que celui-ci soit dorénavant qualifié de robuste et capable de remplir parfaitement son rôle pour longtemps, il a aujourd'hui sept ans de plus que lorsque, en justification de son retrait, il était présenté comme obsolète et peu adapté aux attentes des marchés « digitalisés ». L'idée de patienter encore cinq ans avant de passer à une autre génération de logiciel devrait sérieusement inquiéter ses utilisateurs.
Naturellement, on ne compte plus, dans le secteur financier comme ailleurs, les chantiers pharaoniques qui s'achèvent sur un désastre et des millions partis en fumée. Cependant, celui d'ASX se distingue tristement par le caractère d'innovation qu'il possédait dès son origine à travers le recours à une technologie résolument immature (surtout en 2015). Dans ces conditions, prolonger pendant plusieurs années ce qui n'aurait dû rester qu'une expérimentation relève incontestablement de la faute stratégique inexcusable.
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