Si la notion de « dark pattern » est née avec le web commercial moderne, les pratiques destinées à manipuler les comportements des consommateurs – à leur détriment – sont bien plus anciennes, comme en témoigne par exemple le fonctionnement (historique) des cartes de crédit dont Capital One se vante sans vergogne jusqu'à aujourd'hui.
En pleine opération de fusion avec Discover, qui renforcerait sa position de géante du secteur, l'institution américaine présente en effet les résultats d'une enquête consacrée à démontrer les bienfaits des programmes d'avantages devenus depuis plusieurs années un des premiers critères de sélection d'une carte de crédit (à la souscription et à l'utilisation)… ce que confirment 98% des répondants. Le tableau qu'elle dépeint est tellement rose qu'il parviendrait presque à faire oublier l'envers du décor.
Ainsi, à en croire la communication, les porteurs, qui déploient des trésors d'imagination afin d'optimiser les bénéfices auxquels ils peuvent prétendre (en payant le restaurant pour leurs amis, qu'ils se feront rembourser ultérieurement, en réglant leurs factures avec leur carte…), se verraient ouvrir de la sorte des opportunités exclusives, telles que des voyages afin de rendre visite à leurs parents, des vacances familiales de rêve… ou, pour les entrepreneurs, la possibilité de développer rapidement leur activité.
On peut admettre que les quelques dollars gagnés contribuent à des grands projets – sachant tout de même que plus de trois personnes sur quatre déclarent les affecter à leurs dépenses de première nécessité – ou qu'un surclassement ou un repas gratuit rende un déplacement un peu plus agréable. Mais laisser entendre que ces bienfaits seraient indispensables à ces expériences frise le ridicule et confine à l'indécence.
Il ne s'agit pas seulement de relativiser les montants en jeu, évidemment faibles au regard du budget global engagé. Il est surtout question du modèle économique sous-jacent. Car qu'est-ce qui finance les cadeaux généreusement distribués par l'émetteur ? Ce sont, pour une (petite) part les investissements en marketing des commerçants et, pour la plus grande portion, les intérêts payés par les porteurs les plus fidèles sur leur encours, dont on sait que d'autres « dark patterns » s'efforcent de les maximiser.
Le principe est donc un jeu de dupes. À une échelle macroscopique, les usagers récupèrent simplement une fraction de ce que leur coûte leur instrument. Pire encore, à un niveau plus fin, il ressort que ce sont les individus et les entreprises les plus fragiles, plus enclins à tirer sur leur ligne de crédit, qui vont assumer l'essentiel de la facture. Sous une telle perspective, les arguments de Capital One ont un goût amer pour les victimes de ses manœuvres, finalement proches de la tromperie. Elle atteint ici le rang d'art, ce qui semble hélas la rendre acceptable par toutes les parties prenantes.
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