Tandis que les instances européennes précisent peu à peu les contours d'une feuille de route pour un futur « euro digital », les grandes banques expriment, notamment à travers la voix de leur fédération pour ce qui concerne les françaises, leurs réserves. Rien de surprenant dans la démarche… mais les arguments présentés paraissent fallacieux.
Prenons par exemple cette réaction repérée dans un tweet de la FBF : « L'euro dématérialisé est offert depuis des années par les banques commerciales. Il n'existe pas à date de besoin qui ne serait pas déjà couvert. » Si la seconde est totalement fausse, plusieurs contre-exemples étant fournis par la BCE elle-même, la première affirmation est vraie, dans une certaine mesure. Malheureusement, elle repose sur une confusion persistante dramatique entre paiement électronique et monnaie « digitale ».
Certes, les instruments disponibles aujourd'hui – principalement la carte et le virement interbancaire – autorisent l'exécution de bon nombre de transactions de la vie courante. Mais leur fonctionnement adossé à des fondations historiques, conçues à l'origine pour un univers d'échanges en face à face, les encombre de multiples handicaps dont certains sont probablement insurmontables : nécessité de détenir un compte, coûts importants, expérience utilisateur constellée de frictions, risques de fraude élevés…
Un vrai support « digital », au contraire, résout toutes ces problématiques (à ce stade, je ne prétends pas, cependant, que les plans élaborés pour l'euro correspondent à cette vision idéale). Grâce à l'exploitation des technologies modernes, il est capable de répliquer sous forme virtuelle les caractéristiques des pièces et billets d'antan : détention dans un porte-monnaie privé, opérations (quasiment) gratuites (car sans intermédiaires), fluidité et transparence d'usage, protection contre les cybermenaces…
Concernant les cas de mise en œuvre, là encore la comparaison avec les espèces (même si elles n'ont pas vocation à être remplacées… à court terme) expose les limitations des outils des banques : transferts immédiats entre particuliers (les systèmes proposés à ce jour sont disqualifiés a minima par la dispersion du marché et les complexités des parcours associés), prise en compte des individus non bancarisés (dont les enfants), exigences de confidentialité (bien que ce sujet prête aux controverses)…
Notons au passage que le prétexte des besoins entièrement satisfaits s'avère particulièrement cocasse de la part d'institutions financières qui n'hésitent pas à investir à répétition (notamment via des projets capitalisant sur les mérites illusoires des blockchains), et à s'en vanter (mais sans aucun aboutissement concret), dans des expérimentations d'euro digital dans un contexte interbancaire (« de gros »), où les capacités électroniques existantes sont, pour le coup, complètes et suffisantes.
En réalité, ce que craignent les banques avant tout est une nouvelle concurrence. Celle, bien sûr, d'un moyen de paiement qui empiètera directement sur leurs plates-bandes, alors qu'elles profitaient jusqu'à maintenant pleinement du recul du cash. L'hypothèse d'un plafond sur les porte-monnaie virtuels devrait les rassurer. Mais également celle, plus sournoise, de l'expérience offerte par un mode de paiement véritablement « digital », qui fera forcément de l'ombre aux solutions actuelles dont nous devons nous contenter.
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