Le cabinet Forrester ayant lancé la saison des prédictions pour 2024, je m'arrête aujourd'hui sur trois propositions en accroche concernant la banque, entre perspective obligatoire sur l'emballement autour de l'intelligence artificielle et retombée sur terre pour (une partie de) la FinTech, en passant par l'évolution des comportements des clients.
Le ton général de l'exercice est à une certaine morosité, puisqu'aucune révolution ne devrait secouer le secteur à court terme. Cependant, cette ambiance relativement léthargique, que je relie à l'absence visible de stratégie ambitieuse autant chez les acteurs historiques (focalisés, comme il leur arrive trop souvent, sur les réductions de coûts) que parmi les nouveaux entrants, risque tout de même d'être perturbée par quelques événements dérangeants, aux conséquences potentiellement profondes.
La première victime de ce phénomène serait l'IA générative, tellement médiatisée qu'il est impossible pour un établissement de ne pas céder à la tentation de s'en emparer. À ce stade, il n'est encore question que d'expérimentations, dans la plupart des cas, et une extrême prudence est exercée avec les éventuelles mises en œuvre. Pourtant, Forrester estime qu'elle engendrera de graves problèmes pour 10 institutions, notamment en raison du contournement des règles en vigueur par des employés ou des partenaires.
Qu'il s'agisse de violation de droit d'auteur, d'abus sur l'usage des données personnelles, d'introduction de biais…, au-delà de l'embarras considérable suscité pour les entreprises en cause, je crains que ces incidents n'aient un impact majeur et durable sur l'attitude générale de l'industrie vis-à-vis de la technologie. La crainte de retombées négatives, affectant la réputation et donc la confiance, a de grandes chances de paralyser l'ensemble des projets… et de faire manquer des opportunités extraordinaires.
Dans un registre radicalement différent, les analystes se penchent également sur la mobilité des dépôts. Tandis que la remontée des taux d’intérêt déclenche une vague de manœuvres destinées à les capter, par exemple avec des promotions alléchantes, les consommateurs adoptent une attitude opportuniste, accentuée par la facilité accrue à effectuer des transferts grâce aux mécanismes de finance ouverte, et les banques doivent alors renouveler leur démonstration de valeur dans un marché diversifié.
Enfin, le dernier thème retenu par Forrester dans cette sélection est celui des offres de niche. Apparues il y a une décennie, elles sont conçues, souvent sous la forme de néo-banques, dans le but de répondre aux besoins précis d’une catégorie de population (les influenceurs, les expatriés…) ou de circonstances spécifiques (telles que le décès d’un proche). Bien que le principe soit pertinent, une série de fermetures ou, au mieux, d’acquisitions, faute de modèle économique viable, tempèrera les ambitions isolées.
En revanche, l’idée pourrait être reprise par des acteurs œuvrant sur un périmètre étendu mais désireux de développer de multiples solutions personnalisées à l’intention des mêmes cibles. Si Forrester envisage que des grands groupes historiques se positionnent, je suis plus réservé sur leur capacité à déployer l’agilité requise. J’imagine plutôt l’émergence d’un concept de « méta-niche », par lequel un fournisseur disposerait d’un socle générique lui permettant de créer facilement des packages spécialisés.
Au total, en seulement trois prédictions, le cabinet d'analystes élabore une vision qui ne me paraît pas aussi ennuyeuse qu'il le prétend (ce sont ses mots). Au contraire, leur réalisation pourrait aisément déboucher sur l'heure de vérité pour l'industrie traditionnelle, chacune d'elles étant susceptible, à un niveau distinct, de mettre sérieusement en cause leur légitimité dans le monde de demain… si une nouvelle concurrence (qui pourra venir de n'importe où) parvient à capitaliser sur leur potentiel.
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