L'annonce par N26 de l'arrêt de ses opérations aux États-Unis, deux ans après son arrivée, fait l'objet de nombreux commentaires. Entre la complexité supposée du marché américain et les tentations de brocarder les amateurs européens, les explications ressemblent à des arguments, voire des opinions, politiques. Envisageons une autre perspective.
Vu de notre côté de l'Atlantique, le retrait est perçu comme une illustration de la difficulté à développer une FinTech globale, surtout dans un pays aux réglementations éclatées (entre autres entre 50 états distincts et quelques juridictions complémentaires). Pour les observateurs locaux, tels que Ron Shevlin (dans un article pour Forbes), le cœur du problème résiderait principalement dans les hypothèses présomptueuses de la startup quant aux frustrations des consommateurs vis-à-vis de l'industrie existante.
Selon moi, toutes ces considérations recouvrent une réalité indiscutable… mais elles sont secondaires par rapport à un autre facteur, primordial, largement ignoré par les analystes de tout poil, même si, dans une certaine mesure, Ron le survole quand il évoque le manque de différenciation de l'offre. Je pense, en effet, que ce qui réduit fortement l'attrait de N26 est sa proposition de valeur datée, qui n'a guère évolué depuis ses tout premiers pas en 2013, et oublie que l'innovation est généralement une course de fond.
Le fait est que, au cours de ces 8 années écoulées, les établissements traditionnels ont pris conscience des points de douleurs stimulateurs de nouvelles approches et ils ont eu le temps, sinon de les éliminer entièrement, du moins de les rendre beaucoup moins prégnants. En conséquence, au moment où le trublion débarque chez l'oncle Sam, sa promesse n'a plus le relief qu'elle avait à l'origine et, automatiquement, elle ne paraît plus suffisamment séduisante pour justifier un changement de fournisseur.
Incidemment, une fois admis que la perte de l’avantage initial ressort de la temporalité et non de la géographie, se pose la question de la stratégie de N26. La volonté affichée d’étendre son empreinte sur le vieux continent se heurtera probablement aux mêmes limitations, tandis que ses millions de clients existants, certes fidèles (ne serait-ce que par le phénomène classique d’adhérence du secteur financier), seront néanmoins de plus en plus susceptibles de chercher une herbe plus (ou, au moins, aussi) verte ailleurs.
En matière de solutions possibles, je n’adhère pas à la suggestion de Ron de porter l'effort sur la différenciation sur les produits. Il s’agit là, tout comme son insistance à recourir aux investissements marketing massifs, d’un réflexe défensif positionnant la bataille concurrentielle sur un terrain historique, où les chances de réussite sont donc extrêmement faibles pour un nouvel entrant dont les moyens sont contraints (quel que soit son niveau de financement) et dont le catalogue est entièrement à construire.
Je maintiens que l’angle d’attaque le plus attractif pour la FinTech reste l’expérience utilisateur, dont, à ce jour, les opportunités n’ont été, au mieux, qu’effleurées, qui ne sont pas si ardues à mettre en œuvre et qui sont moins aisées à émuler par les acteurs en place. Je note d’ailleurs que la piste des « niches » vantée par Ron entre dans ce cadre (qu’il réfute pourtant), bien que celle-ci impose une prise de recul, via une vision de personnalisation industrielle, pour espérer en tirer un modèle économiquement viable.
En résumé, le constat à dresser aujourd'hui paraît relativement trivial. Les néo-banques de première génération se comportent comme si elles avaient introduit une rupture fondamentale sur le marché, en considérant que leur modèle était radicalement supérieur à leurs prédécesseurs et ne requiert plus d'améliorations. En réalité, elles n'ont apporté qu'une innovation incrémentale, finalement assez facile à répliquer, qu'il leur aurait fallu sans cesse remettre sur le métier afin de maintenir une avance conséquente.
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