Si l'annonce officielle évoque prudemment « l'étude d'un projet de cessation d'activité », il n'est guère besoin d'être devin pour comprendre que La Banque Postale a décidé de mettre un fin à son aventure de banque « digitale », Ma French Bank. Les raisons invoquées révèlent comment un établissement traditionnel peut se tromper totalement de cible dans ce genre d'exercice.
Dans le sillage des tentatives de la plupart des institutions financières de l'hexagone de créer une enseigne 100% en ligne (ou mobile, en l'occurrence), celle-ci a vu le jour en 2019 et, selon l'Agefi, elle aurait accumulé environ 300 millions d'euros de pertes à la fin de cette année. Ce coût et l'absence de perspectives de rentabilité à moyen terme constituent les principaux arguments de l'arrêt programmé, en dépit de ce qui est vanté, sans plus de précisions, comme un « succès indéniable auprès des clients ».
Plus globalement, les responsables estiment que l'atteinte de l'équilibre économique exigerait la poursuite des investissements à un niveau élevé, incompatible avec la stratégie de l'entreprise. La priorité consiste désormais à renforcer la modernisation de la structure historique, qui sera d'ailleurs proposée comme solution de repli aux clients existants… à qui il est fait miroiter, à la limite de l'incohérence, une offre avantageuse combinant outils numériques à l'état de l'art et réseau physique étendu.
La première faille du raisonnement exposé tient à l'échelle de temps considérée. En effet, pour une néo-banque, quelle que soit son origine, un délai de 5 ans est bien trop court pour espérer dégager une quelconque visibilité sur sa viabilité, qui n'interviendra qu'après 10 à 15 ans. À moins qu'elle n'ait déjà observé un sérieux problème de conquête de clients. De la même manière, un budget de l'ordre de 300 millions sur une telle période ne paraît pas hors de proportions (ce qui tend même à surprendre !).
Cependant, le problème le plus profond réside ailleurs et il était présent dès l'origine du projet. En effet, quand La Banque Postale suggère que ce qui manque à sa filiale afin d'affermir sa position sur le marché serait une gamme plus complète de produits et d'options d'équipements (qui se trouve également être, selon elle, un des meilleurs atouts de son modèle classique), elle met en évidence son incompréhension de la différenciation concurrentielle dans l'industrie financière de notre époque.
Certes, un catalogue riche est un objectif incontournable à long terme, mais l'attraction initiale et la conquête (massive) des adeptes des débuts commencent obligatoirement par une expérience utilisateur exceptionnelle. Naturellement, de ce point de vue, l'obstacle évident pour Ma French Bank était son arrivée en 2019 sur un terrain déjà encombré où il lui était non seulement difficile de se distinguer des trublions bien installés mais aussi des grandes marques ayant œuvré à combler leur retard.
Dans cette bataille, elle disposait pourtant d'un formidable atout, potentiellement, sous la forme de l'incubateur Platform58 de sa maison-mère, qui aurait pu lui procurer des armes inaccessibles à des startups « normales » en vue de développer une approche originale de la banque. Hélas, les hésitations et autres lenteurs opérationnelles n'ont pas permis de concrétiser l'opportunité. En conclusion, Ma French Bank ressemble à un immense gâchis… qu'il paraît effectivement préférable d'interrompre.
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