Bientôt deux ans après son annonce tonitruante et ses promesses mirobolantes, le plan de la Commission Européenne visant à créer un cadre commun pour l'identité digitale semble, sans surprise, prendre un lourd retard. Alors que les premières expérimentations s'organisent à peine, la solution belge itsme, elle, affiche son insolent succès.
Apparemment, le sujet devient brûlant ces derniers temps, ce qui conduit à une amusante collision d'actualités entre la déclaration de participation de BNP Paribas, par la voix de son directeur des opérations, Thierry Laborde, à un projet de test du futur porte-monnaie européen et le bilan d'étape des cinq ans d'itsme… auquel participe Fortis, la filiale belge du groupe. Cette coïncidence anecdotique met tristement en évidence le manque de concertation et de collaboration autour d'un projet stratégique présumé critique.
De toute évidence, il y aurait pourtant beaucoup à apprendre de cette mise en œuvre, qui, a minima, aiderait certainement à accélérer les autres réalisations et à éviter de reproduire des erreurs de débutants. Car avec 6,7 millions de citoyens l'ayant adopté (sur 8,5 millions d'habitants éligibles) – en forte croissance depuis son ouverture récente aux 16-17 ans – et l'utilisant en moyenne une fois par semaine dans leurs relations avec plus de 900 entreprises (et quelques autres entités), qui lui permettent d'atteindre désormais le seuil de rentabilité, la réussite d'itsme ne laisse pas de place au doute.
L'avance prise par rapport aux ambitions affichées par la Commission est tout aussi incontestable. Outre son rôle primaire de gestion d'identité, équivalente aux documents physiques officiels, et sa fonction d'authentification sécurisée sur les plates-formes en ligne, l'application prend également en charge la signature qualifiée (le plus haut niveau d'exigence) et elle se prépare désormais à intégrer des données personnelles complémentaires (permis de conduire, diplômes…) pour des usages sophistiqués.
Autant dire que la Belgique dispose dès aujourd'hui de ce que les politiques n'envisagent probablement pas avant cinq ans (s'ils font preuve d'un peu de réalisme). Dans ces conditions, et en considérant que l'identité digitale est réellement un chantier prioritaire, est-il raisonnable de reprendre le problème à zéro en lançant des initiatives dispersées qu'il faudra ensuite fédérer ? Ou ne vaut-il pas mieux essayer de capitaliser sur ce qui fonctionne… et qui commence à se déployer à l'international (d'abord au Benelux) ?
Mon propos ne vise pas à étouffer ou même à contester les désirs de préservation de la concurrence face à un consortium privé, contrôlé par des banques et des opérateurs de télécommunications. En revanche, si les décideurs sont sérieux dans leur planning agressif (et illusoire en l'état), ils devraient prendre conscience que les meilleures solutions sont déjà sur le marché (celle de la Belgique n'est pas totalement unique) et qu'elles feront progresser l'Europe plus rapidement que toute autre approche.
Dans le même temps, les acteurs (financiers, notamment) qui ont raté le coche de l'identité digitale, en dépit des opportunités qui leur tendaient les bras et, parfois, des sollicitations insistantes qu'ils ont reçues, devraient maintenant s'en mordre les doigts.